Sophie Boissard est une personne dévouée qui fait face aux difficultés rencontrées par les établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Clariane. Elle a été reconduite pour un troisième mandat en tant que directrice générale et doit résoudre les problèmes financiers de l'entreprise tout en redorant son image. C'est un défi de taille pour cette stratège discrète mais efficace.
Dans une rue tranquille près de la tour Eiffel, l'Ehpad Champ-de-Mars est très animé en ce 22 novembre. Sophie Boissard, la directrice générale du groupe Clariane (anciennement Korian) qui gère cet établissement, salue les résidents en fauteuil roulant et le personnel soignant réuni dans le salon du rez-de-chaussée. Souriant et détendue, elle s'apprête à présider la cérémonie de remise des diplômes aux employés ayant suivi les formations qu'elle a mises en place pour faire face au manque de personnel. Mais cette célébration interne bien rodée prend une tournure inattendue : le Premier ministre Michel Barnier, accompagné de trois membres de son gouvernement, a décidé de se rendre sur place pour présenter des mesures visant à rendre la filière des soins plus attractive. "Je suis heureuse, non pour moi, mais pour les équipes. C'est une belle reconnaissance pour ces métiers souvent oubliés, courageux et exemplaires", confie la maîtresse de cérémonie en privé.
En privé, elle a intelligemment pris les mesures nécessaires : elle a contacté Patrick Martin, le président du Medef, qui soutient depuis le début les initiatives de Clariane, pour l'inviter à l'événement. De là, la mobilisation s'est propagée de ministère en ministère et a finalement attiré l'attention de Matignon.
Le parcours habituel des personnes influentes de l'Etat
Sophie Boissard, discrète et peu encline à se montrer dans les médias, sait comment utiliser ses réseaux. Membre du club exclusif du Siècle, de l’Afep et de l’Académie franco-allemande de Paris, cette femme dans la cinquantaine, à la voix douce et presque timide, est très respectée dans les cercles parisiens. Sophie Bellon, présidente du groupe de services aux collectivités Sodexo, la décrit comme ayant une grande capacité d'analyse, une énergie positive et des valeurs fortes qui incitent à la suivre. La preuve en est qu'elle a été reconduite à la tête de Clariane par son conseil d'administration, et elle affiche un sourire en annonçant qu'elle reste en poste jusqu'en 2029.
Cette passionnée de randonnée en montagne, qui trouve du réconfort dans la nature, se retrouve pourtant dans une situation difficile. Après avoir eu une carrière réussie dans les ministères et à la SNCF, elle se retrouve à la tête d'un groupe en difficulté : Clariane a été fortement impactée par la pandémie de Covid-19, puis par les répercussions du livre controversé Les Fossoyeurs de Victor Castanet, qui met en cause son concurrent Orpea. En difficulté financière et en pleine restructuration, l'entreprise a besoin plus que jamais d'une dirigeante solide pour s'en sortir.
Après avoir étudié à Sciences-Po, être passée par l'Ecole normale supérieure et l'ENA, Sophie Boissard a emprunté le chemin habituel suivi par les élites de l'administration publique. Après avoir terminé ses études, cette étudiante talentueuse a intégré le Conseil d'Etat, où elle a travaillé sur l'affaire Papon. Passionnée par le droit public et l'histoire, en particulier par Léon Blum sur lequel elle a écrit son mémoire de maîtrise, cette haute fonctionnaire n'hésite pas à s'attaquer à des dossiers complexes.
Une approche rigoureuse et méthodique
En collaboration avec Christine Lagarde, avec qui elle a été nommée directrice adjointe de cabinet à Bercy en 2007, elle a dirigé la fusion de l'ANPE et de l'Unédic pour former Pôle emploi. Une tâche complexe. "C'était un projet difficile, où personne n'était vraiment d'accord, chacun défendant ses propres intérêts", se souvient l'ancienne ministre de l'Économie. Sophie a réussi à apaiser les tensions des syndicats. Cette technocrate s'est révélée être une habile négociatrice. "Elle est ferme dans ses convictions, mais sait aussi reconnaître quand elle n'a pas le dernier mot lors d'un débat. Elle est honnête et à l'écoute", admet Jean-Claude Mailly, l'ancien secrétaire général de Force ouvrière.
Sophie Boissard est une personne très dévouée à son travail, elle se présente en réunion avec des dossiers bien préparés et difficiles à critiquer. Elle est une mère de quatre enfants, deux filles et deux garçons âgés de 17 à 28 ans, et est mariée à un avocat. Après le dîner et le coucher de ses enfants, elle retourne au bureau pour continuer à travailler. Son approche est caractérisée par la rigueur et l'exigence, similaire à celle d'un magistrat. Selon le sociologue Julien Damon, qui l'a côtoyée lorsqu'elle était directrice du Commissariat général du Plan, tout est parfaitement clair et bien géré avec elle.
A Clariane, on se rappelle comment elle a rapidement retravaillé le discours du patron du groupe Casa Reha lors d'une convention en Allemagne, après le rachat par une entreprise française, car elle le trouvait inadapté. Son entourage souligne son approche rigoureuse, influencée par ses origines germano-néerlandaises et bretonnes. Raymond Soubie, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, la décrit comme une femme très intelligente et capable de tout.
Sophie Boissard a été recrutée à la SNCF en 2008 grâce à l'influence d'un expert en réseaux sociaux. Malgré le monde masculin et syndiqué du rail, elle a réussi à se démarquer en tant que directrice générale grâce à son style sobre et classique. Elle a su faire sa place et s'imposer dans un environnement difficile.
Guillaume Pepy, ancien président du groupe ferroviaire, admire Sophie pour sa compétence, sa modernité, sa capacité à allier technicité et politique, son côté humain et son autorité. Il lui a confié rapidement la tâche difficile de créer la nouvelle branche Gare et Connexions à partir de rien, pour gérer la rénovation des gares. Sophie se souvient avec enthousiasme de cette période intense de travail, où elle a lancé de nombreux chantiers, notamment celui de la gare Saint-Lazare. Elle se décrit comme un véritable bulldozer, passionnée par son travail et ayant même rêvé un temps d'être architecte.
D'après un ancien cadre supérieur de la SNCF, elle peut être perçue comme une femme exigeante et dure envers les autres, tout comme la plupart des leaders qui se sont forgé une carapace pour atteindre le sommet. Elle sait maintenir une certaine distance, parfois perçue comme de la froideur. Son caractère secret et pudique concernant sa vie privée laisse ses collaborateurs dans l'incertitude quant à ses goûts pour la littérature ou la musique.
Elle peut sembler être une meneuse carrée et méthodique, mais en réalité, elle cache une sensibilité qui la rend capable de pleurer ou rougir en un instant. Cette femme a même installé des pianos en libre-service dans les gares, inspirée par la beauté poétique de la plus ancienne gare de Moscou, la "gare du tsar".
Cependant, lorsque la situation l'exige, elle n'hésite pas à se mettre en première ligne. Lorsque Clariane s'est retrouvée sous les feux de la rampe de Cash Investigation en mars 2022, un mois après la publication des Fossoyeurs, elle a décidé de faire face à Elise Lucet sur le plateau. Malgré quelques réponses qui semblaient un peu confuses et nerveuses, elle n'a pas cédé face à la détermination de la journaliste. Peu importe que son entourage lui ait déconseillé de s'y rendre. Enfermée dans une pièce des studios de l'émission de France 2 qui devait être diffusée le soir même, entourée de ses conseillers, elle a visionné le reportage accablant et s'est préparée en même temps pour son interview. "Elle était extrêmement concentrée, loin d'être en colère", se souvient le communicant Robert Zarader.
Ch
Il
Ce
Ce
Malgré cela, Sophie Boissard montre une réticence à parler de l’affaire Orpea qui a affecté Clariane. On peut voir qu’elle est blessée derrière son assurance apparente lorsqu’elle serre la main et lance des clins d’œil. Selon Rémi Boyer, directeur général adjoint de Clariane, ce qui la touche le plus, c’est le sentiment d’injustice et le fait que l’on remette en question son intégrité. Elle est également affectée par le fait que les soignants sur le terrain soient mis en cause. Même si son ancien directeur de la communication, Jean-Marc Plantade, lui suggérait de réagir de manière préventive, elle reste attachée à la loyauté et rejette les tactiques politiciennes.
Sophie Boissard trouve son inspiration dans l'histoire de sa grand-mère paternelle, une femme qui a surmonté de nombreux obstacles pour devenir institutrice et professeure de sciences naturelles. Cette histoire lui a transmis des valeurs importantes telles que l'importance de l'éducation, de l'effort et de la reconnaissance. C'est grâce à cette héritage qu'elle a pu mener à bien le sauvetage de Clariane en faisant preuve d'une détermination sans faille.
Malgré le manque de sentiment dans la cession des actifs du groupe en difficulté (Casa Barbara, Les Essentielles…) ou la restructuration de ses équipes, la dirigeante est assurée de la confiance de son conseil d'administration. Elle doit maintenant tourner la page des Fossoyeurs, ce qui ne sera pas facile. Orpea, maintenant appelé Emeis, a été sauvé par l'Etat avec l'entrée de la Caisse des dépôts dans son capital. Cela a laissé au sein de Clariane l'impression d'avoir été trompé dans cette affaire, ajoutant une injustice de plus à supporter.
Bulletin
Recevez les commentaires et les contenus exclusifs de l'équipe éditoriale directement dans votre messagerie électronique.
Bulletins d
Profitez quotidiennement des nouvelles les plus pertinentes.
Ressources pratiques que nous recommandons
À propos
Parcourir les
Les applications pour smartphones
La diffusion d'informations en
Votre publication en format électronique
Les différentes pages web appartenant
Revue scientifique Sciences et Avenir
L'étude
Le passé, les événements