Défis Société Secteur du commerce et de la distribution
Une organisation non gouvernementale, Bloom, dénonce un scandale sanitaire selon lequel 57 % des conserves de thon contiennent du mercure.
Les résultats de l'enquête de l'organisation Bloom, rendue publique aujourd'hui, soulignent la nécessité de réponses immédiates. Sur les 148 boîtes de conserve de poissons prélevées dans des commerces de cinq pays européens, dont la France, 57 % présentent des niveaux de mercure largement supérieurs aux limites autorisées pour les autres types de poissons. Cette dérogation est difficile à justifier, surtout compte tenu de la sensibilité particulière des enfants et des embryons à ce neurotoxique puissant.
Les personnes de la génération des baby-boomers se rappellent des premières publicités télévisées diffusant des messages de santé publique jusqu'en 1968. Une des plus populaires était celle vantant les bienfaits du thon, qui a marqué plusieurs générations. En France et à travers le monde, le thon en conserve a connu un succès incroyable, avec une augmentation des captures mondiales de 1 000 % entre 1950 et 2019.
Le poisson le plus populaire et le plus pollué par le mercure
Ces dernières années, il y a eu une confusion dans les messages. L'Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM), relayé par de nombreux sites médicaux, a souligné que le thon est un poisson très apprécié mais également très contaminé par le mercure. En effet, le thon est le poisson le plus consommé par les Européens, avec une moyenne de 3 à 4 kg par an, en raison de son prix abordable. Cependant, il est également le poisson le plus contaminé par le mercure en raison de sa position finale dans la chaîne alimentaire.
Le thon est délicieux Crédit: Musée de la publicité
Le mercure se stocke dans les graisses des animaux sous forme de méthylmercure, une forme très toxique qui peut affecter le système nerveux central des personnes qui en consomment et causer des dommages à la mémoire, à la cognition, à l'attention et au langage. Les enfants et les fœtus sont particulièrement vulnérables à ces effets.
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Le rapport approfondi publié aujourd'hui par l'ONG Bloom, intitulé "Poison dans le poisson, Chronique d'un scandale sanitaire", risque de marquer les esprits. Cette enquête menée par Julie Guterman est déjà louée en privé pour sa précision et son étendue par des spécialistes de la sécurité sanitaire, en France et ailleurs.
Au début, Bloom a décidé de se concentrer sur les consommateurs plutôt que de simplement recueillir des données des chercheurs. L'organisation a choisi au hasard 148 boîtes de conserve vendues dans cinq pays européens (Allemagne, Angleterre, Espagne, France et Italie) et les a fait tester par un laboratoire indépendant. Le résultat a révélé que toutes les boîtes étaient contaminées par du mercure.
Il n'est pas étonnant de trouver du mercure "volatil" dans la chaîne alimentaire des océans, en raison des importantes quantités de métaux lourds provenant des volcans, du raffinage des hydrocarbures et de la combustion des combustibles fossiles tels que le charbon.
Un type de mercure qui s'évapore dans l'air, est absorbé par les mers, et est ensuite incorporé dans la chaîne alimentaire des océans. Il est d'abord capté par les bactéries, puis par les petits poissons, pour finalement se retrouver dans les organismes des grands prédateurs tels que le requin, l'espadon, le marlin, le siki, les lamproies, le brochet, le barracuda et… le thon.
Il est surprenant de constater que la majorité des conserves contiennent des taux de mercure supérieurs à la limite maximale autorisée pour les poissons classiques comme les anchois, le cabillaud ou les sardines, qui est de 0,3 mg par kilo. En effet, 57 % des conserves dépassent cette limite, avec un exemple extrême atteignant 3,9 mg/kg pour une conserve de la marque Petit Navire vendue dans un magasin Carrefour City à Paris, soit treize fois le niveau maximal autorisé pour les poissons ordinaires.
Mis à part ce cas exceptionnel, est-ce que les autres boîtes de thon qui contiennent plus de 0,3 mg sont en violation du règlement ? Non, ce n'est pas le cas ! Ce qui est surprenant, inquiétant et choquant, c'est que ces boîtes respectent en réalité le taux maximal dérogatoire autorisé pour le thon frais, qui est de 1 mg/kg. En fait, ce n'est pas le cas pour toutes les boîtes : une conserve sur dix dépassait cette limite réglementaire.
Les enjeux économiques importants du thon
Il est étrange de constater que le mercure présent dans le thon est tout aussi toxique que celui retrouvé dans une sardine ou un cabillaud. Pourquoi alors le thon serait-il considéré comme moins dangereux et plus acceptable ? Une partie de la réponse réside dans le fait que si le seuil de 0,3 mg était appliqué, cela entraînerait l'interdiction de plus de la moitié des conserves de thon sur le marché.
Julie Guterman nous encourage à examiner de près les structures complexes et peu transparentes des organismes qui fixent les normes sanitaires concernant le mercure, que ce soit au niveau international, européen ou national, et qui doivent également prendre en compte l'impact sur le marché du thon.
La doxa, appelée aussi le "Codex Alimentarius", a été établie en 1963 par les Nations unies et l'OCDE dans le but de trouver un équilibre entre la protection de la santé publique et les intérêts commerciaux. Cependant, il est intéressant de noter que la direction du "Comité du Codex sur les Additifs et les Contaminants Alimentaires" est confiée aux Pays-Bas, un pays très actif dans la pêche industrielle à travers le monde.
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Julie Guterman explique que la méthode utilisée pour déterminer les seuils est appelée ALARA, ce qui signifie As Low As Reasonably Achievable, ou aussi bas que raisonnablement possible. Cela signifie que la quantité de mercure autorisée dans le thon est déterminée en fonction de ce qui est jugé raisonnable du point de vue commercial, plutôt que de celui de la santé publique.
Le marché du thon est très prometteur, d'après l'Ifremer, car il est en plein essor en France et en Europe, avec un taux de pénétration élevé de 90% des ménages acheteurs en France. De plus, les consommateurs de thon sont généralement plus jeunes que ceux des autres produits de la pêche. Le marché mondial de la conserve de thon, estimé à 8,9 milliards de dollars, devrait encore croître de plus de 4,5% entre 2023 et 2032.
Une évaluation officielle étrange de la quantité de mercure dans le thon
Il est indéniable que malgré les nombreuses alertes concernant la présence omniprésente de mercure dans les thons, les mises à jour des normes sont toujours en attente. Par exemple, le comité mixte FAO/OMC a décidé en 2003 de réduire de moitié la Dose Hebdomadaire Tolérable (DHT) pour faire face à ce problème. Avez-vous entendu parler de cette mesure pour limiter la consommation de thon chez vos enfants lors de vos courses ?
Non, la Commission du Codex a demandé au Comité du Codex sur les Additifs et les Contaminants Alimentaires (CCFAC) d'étudier la possibilité de réviser les niveaux de mercure, c'est-à-dire de les réduire. Résultat ? Toutes les discussions sur les niveaux maximaux de méthylmercure ont été reportées de sept ans, et les ventes de poissons ont continué à augmenter.
De plus, il faut prendre en compte les manipulations peu honorables effectuées pour rendre les taux de mercure plus acceptables. Par exemple, le taux est mesuré sur du thon frais, avant sa mise en conserve, et non sur le thon en conserve que vous utilisez dans vos salades et pâtes. En conserve, le thon perd de l'eau et les concentrations de mercure augmentent considérablement. Selon le rapport de Bloom, le taux réel de mercure peut passer de 1 mg/kg à 2,7 mg/kg. Ces informations sont peu connues et peu de gens s'en préoccupent.
On commence à remettre en question la sécurité du thon dans les milieux de la santé vers les années 2000. Les acteurs de l'industrie de la pêche reconnaissent vaguement les risques liés au mercure, mais mettent en avant les bienfaits des oméga-3 contenus dans le thon. Ainsi, le thon est désormais présenté comme un poisson aux vertus médicinales.
Il est indéniable que cette réhabilitation spectaculaire est un succès. Le thon retrouve sa valeur car les avantages semblent l'emporter nettement sur les risques dans l'équilibre bénéfice-risque.
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Peu importe que les poissons prédateurs tels que le thon soient moins riches en oméga-3 que les sardines, les anchois ou les maquereaux, selon Bloom.
Peu importe si les noix, l'huile de colza, le soja et le lin sont de bonnes sources d'oméga-3. Et peu importe également si l'Anses a souligné en 2022 que les produits d'origine animale (viandes, œufs, produits laitiers, etc.) contribuent majoritairement aux apports en oméga-3, car ils sont consommés en plus grande quantité que les huiles végétales ou les poissons gras, malgré des teneurs plus faibles en acides gras oméga-3.
L'impact des groupes de pression
Le rapport percutant et engagé de Bloom pourrait-il relancer le débat au nom des consommateurs ? C'est possible s'il est diffusé au niveau des opinions européennes et du Parlement de Strasbourg. Il sera nécessaire de trouver des moyens pour discuter sérieusement de l'invasion silencieuse du mercure, également appelé "vif-argent" au Moyen Âge, dans nos cerveaux. Il est crucial de prendre en compte le risque majeur que cela représente pour les enfants.
La complexité de l'établissement des normes alimentaires est bien connue, tout comme l'influence des groupes de pression économiques. Cependant, à force d'interventions, de modifications et de compromis, on en arrive à une situation étrange : selon Julie Guterman, les chiens et les chats sont actuellement mieux protégés du mercure que les bébés, car les limites de ce neurotoxique dans les aliments pour animaux sont plus strictes que pour l'alimentation humaine.
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