Difficultés Société Protection
Verney-Carron, Turgis et Gaillard… Ces entreprises françaises de défense qui attirent l'attention de l'Ukraine avant même celle de la France.
La société Verney-Carron basée à Saint-Étienne, qui a été ignorée à plusieurs reprises par la France, a réussi à vendre ses fusils d'assaut à l'Ukraine. De même, le drone Aarok de Turgis et Gaillard a été sélectionné par Kiev avant même d'être vendu à Paris. Cela reflète la méfiance historique du ministère des armées envers les petites et moyennes entreprises de défense.
Le VCD 10, un fusil de précision fabriqué par l'entreprise Verney-Carron basée à Saint-Étienne.
Le fabricant français de fusils Verney-Carron a pris tout le monde par surprise en dévoilant le 6 novembre une nouvelle commande de l'Ukraine. Cette dernière a acheté 10 000 fusils d'assaut VCD 15, 2 000 fusils de précision VCD-10 ainsi que 400 lance-grenades.
Ce contrat d'une valeur de 36 millions d'euros est très important pour cette petite entreprise qui existe depuis plus de deux cents ans. Selon les termes du contrat, les premiers lots, appelés lots de qualification, seront livrés début 2024. Les livraisons en série, quant à elles, auront lieu six mois après la signature officielle du contrat avec la société d'État ukrainienne Ukrspecexport. Le financement de ce contrat devrait être assuré par le fonds de soutien à l'Ukraine, qui a été créé par le ministère des Armées en octobre 2022 afin de permettre à l'Ukraine d'acheter du matériel militaire auprès d'entreprises françaises.
Verney-Carron, le plus ancien fabricant français d'armes de chasse, a reçu une commande sans précédent de 100 000 fusils par an. Cette commande représente une première dans l'histoire de l'entreprise. En plus de fabriquer des armes de chasse, Verney-Carron est également connu pour produire les lanceurs de balles de défense Flash-Ball. Hugo Brugière, président de Verney-Carron et de sa maison-mère Cybergun, déclare que ce contrat est très important pour l'entreprise, car il confirme leur stratégie d'entrer dans le secteur de la sécurité et de la défense. Cette commande démontre également que la France est capable de produire des armes compétitives de petit calibre. Enfin, le fait de vendre des armes à un pays engagé dans un conflit de haute intensité permet à Verney-Carron de changer son image sur le marché en tant que fournisseur d'armes éprouvées au combat.
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Verney-Carron a pour objectif de profiter de la commande ukrainienne pour se développer dans le domaine de la défense. Après avoir regroupé ses produits militaires sous la marque Lebel, la petite et moyenne entreprise a lancé un plan d'investissement de 25 millions d'euros pour moderniser son outil de production. Jusqu'à présent, 7 millions d'euros ont déjà été investis. Hugo Brugière déclare : "Nous prévoyons de déménager vers un site plus grand, toujours situé dans la région de Saint-Étienne, d'ici 2025, afin d'atteindre une capacité de production de 100 000 fusils par an". Selon nos informations, Verney-Carron est en discussion avec deux importants prospects, l'un en Europe et l'autre en Asie du Sud-Est. Cependant, Verney-Carron ne souhaite pas faire de commentaires à ce sujet.
La question principale est de savoir comment l'Ukraine a pu dépasser la France en devenant le principal client des fusils d'assaut Verney-Carron. Malgré plusieurs tentatives lors de compétitions militaires organisées par la DGA en France, le champion français n'a pas réussi à participer à l'appel d'offres en 2016 pour remplacer le célèbre Famas. La raison en était un chiffre d'affaires inférieur au seuil minimal de 50 millions d'euros. La DGA a finalement choisi le HK416 du fabricant allemand Heckler & Koch pour ce contrat majeur, qui prévoyait la livraison de 117 000 fusils entre 2017 et 2028. Trois ans plus tard, lors d'une compétition pour remplacer les fusils FR-F2 des forces françaises par 2 620 fusils de précision, la DGA a officiellement choisi le fusil SCAR-H PR de l'industriel belge FN Herstal, laissant de côté le VCD 10 de Verney-Carron.
Un entrepreneur de Saint-Étienne, dont le chiffre d'affaires varie entre 7 et 12 millions d'euros selon les années, n'est pas le seul à avoir attiré l'attention de l'Ukraine avant la France. La société Turgis et Gaillard, une entreprise de taille intermédiaire, dont le drone de combat Aarok (5,5 tonnes) a été l'une des principales attractions du dernier salon du Bourget, a signé un accord en septembre avec l'entreprise ukrainienne Antonov pour assembler en Ukraine des drones Aarok destinés aux forces de Kiev. En ce qui concerne la France, bien que des discussions soient en cours avec la DGA, aucune commande formelle de cet engin français n'a (encore ?) été annoncée officiellement.
Avec un total de 1 300 commandes, le Salon du Bourget a enregistré sa deuxième meilleure édition de tous les temps.
Prenons un autre exemple avec Shark Robotics, une entreprise de La Rochelle spécialisée dans les robots terrestres. Ils travaillent sur le développement de robots pompiers ainsi que sur le robot militaire Barakuda. Cependant, à la fin de l'année 2019, ils se sont fait devancer par l'entreprise israélienne Roboteam sur un contrat de l'Agence d'innovation de la défense. Ce contrat concernait la fourniture de 5 robots "mules" pour le transport de charges à tester lors d'opérations extérieures.
La PME Delair, basée à Toulouse, avait été surpassée par Thales en 2017 pour un contrat de mini-drones de reconnaissance destinés à l'armée de terre. Depuis lors, Delair a vendu ses petits drones UX-11 à l'armée française, mais c'est encore l'Ukraine qui lui a passé la commande la plus importante, soit 150 drones, en septembre. Quant au champion Exail, résultant de la fusion d'iXblue et ECA Group, il a déjà vendu son drone de surface autonome Drix aux États-Unis, tandis que la France se contente pour le moment de tester l'appareil.
Est-ce que la DGA montre une certaine réticence à signer avec des PME ? La réponse est nuancée. D'un côté, la DGA a soutenu les PME dans leurs ventes récentes à l'Ukraine (Verney-Carron, Delair…). D'un autre côté, elle a toujours eu du mal à signer des contrats avec les PME, les start-up et les ETI, préférant plutôt conclure des accords avec les grandes entreprises de la défense, considérées comme plus solides et plus fiables (Thales, Airbus, Dassault, Naval Group, Safran, KNDS Nexter, Arquus, MBDA).
Selon un dirigeant de PME, le directeur général adjoint (DGA) Emmanuel Chiva a une réelle volonté de changer les choses, mais il y a un manque de suivi de la part des ingénieurs généraux de l'armement (IGA) et des rédacteurs d'appels d'offres. Convaincre l'Ukraine est plus facile que de convaincre l'État profond français. La seule start-up d'intelligence artificielle (IA) militaire, Preligens, a réussi à surpasser les obstacles en signant un contrat de 240 millions d'euros sur sept ans avec la DGA à la fin de 2022.
Les grandes entreprises industrielles font pression
Il existe de nombreux obstacles pour les petites et moyennes entreprises de défense dans l'obtention de gros contrats : un critère de chiffre d'affaires minimum dans les appels d'offres ; les grandes entreprises industrielles font pression intensément pour protéger leur territoire ; les PME sont obligées de se porter candidates en partenariat avec des grandes entreprises industrielles, ce qui entraîne une perte de technologies ou de charge industrielle ; les petites entreprises de défense sont méfiantes vis-à-vis du monde bancaire.
Afin de combattre cette exclusion, les députés Thomas Gassilloud, Christophe Plassard et Jean-Louis Thiériot proposent que certains fonds du Livret A soient utilisés pour financer l'industrie de défense, en particulier les petites et moyennes entreprises. Ce projet progresse bien : la mesure est incluse dans le projet de loi de finances 2024, sur lequel le gouvernement assume sa responsabilité (selon l'article 49.3 de la Constitution).
Après la réussite de l'Ukraine, Verney-Carron a également l'espoir de pouvoir conclure, à plus ou moins long terme, un contrat important avec l'armée française. Hugo Brugière souligne que la loi de programmation militaire prévoit 100 000 réservistes qui devront être équipés. Cela pourrait être une opportunité pour un contrat concernant un fusil français, afin de relancer l'industrie du petit calibre en France, qui est en déclin depuis l'arrêt de la production du Famas.
Peut-on faire une meilleure version de la loi de programmation militaire ?
Les pays européens font des investissements importants dans leur industrie. D'après un article du journal belge l'Echo, la Belgique est en train de préparer un contrat de partenariat de 1,7 milliard d'euros sur 20 ans pour soutenir FN Herstal (maintenance, recherche et développement, innovations, production de munitions…), sans passer par un processus de concurrence.
Forces armées de la France
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