La situation est tendue chez Vivendi : le plan de scission de Yannick Bolloré est menacé
À quelques jours d'une assemblée générale cruciale prévue le 9 décembre, la justice pourrait mettre un frein à ce projet. Cela compromettrait les efforts de Yannick Bolloré pour cotiser séparément Canal+, Havas et Lagardère, une opération qui suscite des contestations.
Malgré son apparence calme, Yannick Bolloré est en réalité bouillonnant à l'intérieur. Ces derniers mois, le président du conseil de surveillance de Vivendi a multiplié les présentations financières pour convaincre les investisseurs de la pertinence de la scission du groupe, sur laquelle il travaille avec son équipe depuis un an. Ce jeudi 28 novembre, il aurait dû se concentrer entièrement sur les derniers préparatifs de l'assemblée générale prévue pour le 9 décembre afin d'approuver le projet. Cependant, son esprit semble préoccupé. Face à ses visiteurs, il peine à cacher sa colère. Il répète avec insistance que c'est très grave de vouloir empêcher la tenue d'une assemblée générale.
Le jour précédent, le groupe a été poursuivi en justice par l'un de ses actionnaires minoritaires, le fonds CIAM. Cette société de gestion indépendante a engagé une action en référé devant le tribunal de commerce de Paris pour demander le report de l'assemblée générale du groupe. Les fondatrices de CIAM, Catherine Berjal et Anne-Sophie d'Andlau, ont déposé deux recours en justice, affirmant que la famille Bolloré tentait de contourner la législation boursière française et de renforcer son contrôle au sein de Vivendi sans passer par une offre publique d'achat. La décision du tribunal sera rendue au plus tard le vendredi 6 décembre.
Le PDG de Vivendi est très en colère. Selon lui, la campagne de Ciam est basée sur des idées fausses. Il soutient le débat et la liberté d'expression, mais il est contre l'idée de bloquer la démocratie actionnariale, qui va à l'encontre des valeurs défendues par ces deux femmes. Sans assemblée générale, le projet de scission est définitivement abandonné, et il n'y a pas d'autre plan en vue, insiste-t-il.
Il explique que l'opération a été soigneusement examinée par l'Autorité des marchés français et que le projet a été présenté en détail à Paris, Amsterdam et Londres, où les différentes entités du groupe doivent être introduites en Bourse. Il ne peut pas supporter l'idée d'échouer si près du but, lui qui est un coureur de fond. En août dernier, ce père de quatre filles a participé au marathon olympique de Paris et a terminé en quatre heures trente, quatre minutes et trente secondes, comme il le souligne en souriant. Formé par le maître de la publicité Jacques Séguéla, il sait distiller ces petits détails de sa vie qui rendent une rencontre intéressante.
Selon Yannick Bolloré, la situation est claire. Il a présenté un projet qui a déjà été validé par le conseil d'administration. Ce projet consiste à répartir les actions de Vivendi entre trois entités cotées. Selon les plans actuels, Canal+ sera introduit en Bourse à Londres par le biais d'un mécanisme d'apport partiel d'actifs. En d'autres termes, chaque actionnaire de Vivendi recevra l'équivalent d'une action de Canal+ lors de son introduction au London Stock Exchange.
L'opération "Sanglier"
De son côté, l'entreprise de communication Havas se rendra à la place d'Amsterdam. De manière similaire, les actions de Havas seront attribuées à tous les actionnaires actuels de Vivendi. Elles seront également protégées par une stichting, une fondation de droit néerlandais qui empêchera toute tentative hostile d'OPA sur l'entreprise. Enfin, Louis Hachette Group et le portefeuille d'investissement de Vivendi, comprenant des participations dans Universal Music Group, Mediaset ou Telecom Italia, resteront cotés à Paris.
Pourquoi diviser le groupe de cette manière ? Yannick Bolloré résume la situation paradoxale où Vivendi, malgré ses bons résultats, voit son action ne pas se porter bien. Cette restructuration vise à réduire la décote de conglomérat qui pèse sur le titre de l'entreprise. En novembre, la valorisation de Vivendi était d'environ 9 milliards d'euros, ne reflétant pas ses performances financières. Selon Vivendi, la valeur totale des actifs devrait atteindre 16,9 milliards d'euros. Ainsi, les succès de Havas et la croissance du nombre d'abonnés de Canal+ ne sont pas actuellement pris en compte dans sa valeur en Bourse. Cette décote entrave le développement des activités de l'entreprise, selon son président.
C'est ainsi que l'idée de cette division est née dans l'esprit du banquier d'affaires Andrea Bozzi, qui a travaillé chez Lazard et vient de rejoindre Evercore. L'opération "Sanglier", comme il l'a appelée, a été lancée en décembre 2023. Ce mystérieux nom de code fait référence à une opération visant à clarifier les structures de l'empire médiatique. Une membre du comité exécutif de Vivendi ironise sur l'imagination des banquiers d'affaires.
Le projet de publicité à faible coût a été confié par Vincent Bolloré à son équipe. Bien qu'il se soit retiré des affaires l'année dernière, il continue de superviser le projet personnellement avec l'aide de son conseiller Dominique Bompoint et du banquier Charles-Henri Filippi. Un groupe de banques, dirigé par la Société Générale et la filiale française d'Evercore, a été mobilisé pour le projet. Cependant, c'est son fils cadet, Yannick, qui est chargé de sa mise en œuvre et qui devra faire face aux défis. Yannick a acquis de l'expérience en travaillant chez Havas et joue un rôle important pour calmer les choses, selon une source au sein de Vivendi.
Les petits actionnaires se sont opposés au projet, ce qui a déconcerté tout le monde. Lorsqu'on mentionne ces critiques, l'héritier, habituellement sympathique, devient soudainement fermé. Il exprime son incompréhension face aux actions des deux fondatrices du fonds activiste Ciam.
Certaines personnes qui préfèrent garder l'anonymat expriment des critiques sur le projet. Certains actionnaires minoritaires, comme Moneta Asset Management, sont réticents à soutenir le projet car ils pensent qu'il ne fait que renforcer le contrôle de Bolloré SE sur les différentes entités du groupe.
Après la scission, il sera actionnaire de Canal+, Havas et Hachette avec un peu plus de 30 % des parts. La famille Bolloré aurait dû lancer une offre publique d'achat en France pour dépasser ce seuil. C'est une exigence de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Selon Denis Branche, directeur général de Phitrust, ils sont astucieux et utilisent toutes les stratégies de la Bourse pour maintenir le contrôle total sur cet ensemble.
Face à cette campagne, Yannick Bolloré nie toute intention malveillante. Il affirme que le groupe Bolloré a même vendu des actions pour rester en dessous de la limite des 30 % de contrôle. Il assure que les sociétés resteront fiscalisées en France avec leur direction. Il précise que toutes les décisions doivent être approuvées par une majorité des deux tiers, et que Bolloré n'a pas le contrôle total sur les décisions prises en assemblée générale.
Augmenter le nombre d'investisseurs de Canal+
Malgré cela, le fait que de nombreuses activités du groupe soient cotées à l'étranger suscite des questions. Cependant, le PDG de Vivendi ne trouve rien d'étrange à cela. Selon lui, le choix d'Amsterdam pour Havas est une réponse à des inquiétudes concernant une OPA hostile exprimées par certains clients et talents de l'entreprise.
Cependant, le déménagement de Canal+ à Londres est celui qui est le plus remis en question. Un cadre supérieur du groupe reconnaît que cela entraînera des changements importants au niveau de la direction. Un analyste financier souligne qu'aucune grande entreprise n'a choisi de s'implanter outre-Manche depuis le Brexit. Il fait remarquer que la capitalisation totale d'Euronext s'élève à 7 000 milliards d'euros, soit le double de celle de Londres.
Cependant, bien que le marché britannique soit moins liquide, il est également moins soumis à des réglementations strictes. Selon Vivendi, ce transfert vise principalement à élargir la base d'investisseurs de Canal+ afin de lui permettre de se développer à l'échelle internationale. Cependant, il convient de noter que la loi de 1986 sur la liberté de communication limite à 20 % la part des actionnaires non européens. Certains observateurs soulignent que Canal+ a été favorisé par des politiques publiques, alors même que Vincent Bolloré fait l'éloge du patriotisme sur CNews et déplace son groupe à Londres.
La situation de Canal+ est devenue fragile. En réalité, l'avenir de la chaîne cryptée dépend désormais de son expansion à l'international. En choisissant le Royaume-Uni, Canal+ pourra accélérer sa double cotation à Londres et à Johannesburg, en Afrique du Sud, où Vivendi est en train de racheter le groupe MultiChoice. Cela permettra à Canal+ d'augmenter son nombre d'abonnés de 25 à 42 millions. Yannick Bolloré estime que l'intégration de ces nouvelles acquisitions occupera une grande partie des équipes de Canal+ en 2025.
Par la suite, le retour de Canal+ sur le marché boursier permettra de faciliter de nouvelles acquisitions en échange d'actions. La croissance est devenue essentielle pour la chaîne cryptée et sa plateforme MyCanal, qui doivent faire face à une concurrence féroce des géants américains du streaming. La taille de l'entreprise est un facteur important dans ce secteur. En France, le groupe se sent de plus en plus limité et les tensions augmentent avec les autres acteurs de l'industrie ainsi qu'avec les autorités.
La situation se tend car Canal+ passe d'un modèle de chaîne traditionnelle à péage à celui d'une plateforme de streaming qui regroupe les contenus de grands partenaires comme Apple ou Disney. En conséquence, Canal+ ne remplit plus les critères pour bénéficier du régime fiscal avantageux réservé aux chaînes de la TNT, qui bénéficient d'une TVA réduite à 10 %. C'est du moins l'avis de Bercy.
Le fisc français envisage de redresser le groupe cinématographique jusqu'à 650 millions d'euros, après des années de conflit avec la filiale de Vivendi. Cette possible sanction est perçue négativement par le marché, surtout juste avant l'introduction en bourse à Londres. En effet, la TVA à 20 % impacte sérieusement le modèle économique de la chaîne.
En réponse, le directeur dynamique de Canal+, Maxime Saada, connu pour son franc-parler, annonce qu'il pourrait renoncer à sa licence TNT pour cesser de contribuer au financement du cinéma français. Yannick Bolloré souligne que Canal+ est le principal partenaire du cinéma français, avec un investissement annuel de 200 millions d'euros. Cela soulève diverses interprétations.
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