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Différences atomiques entre la France et l'Allemagne dans le domaine de l'énergie nucléaire
Par Nicolas Stiel, publié le 14.10.2023 à 09h00, durée de lecture 6 minutes, abonnés.
Paris et Berlin ont des opinions divergentes sur l'énergie nucléaire depuis longtemps, avec l'un cherchant à la promouvoir et l'autre à la bannir. Malheureusement, ces désaccords ont causé un retard préjudiciable à la mise en œuvre du Green Deal européen, jusqu'à Bruxelles.
Le 15 avril dernier, une manifestation a eu lieu en Bavière pour célébrer la fermeture du réacteur Isar 2. Au printemps dernier, l'Allemagne a arrêté l'activité de ses trois dernières centrales encore en fonction.
Aucune tolérance envers l'énergie nucléaire. Lors de la conférence sur le nucléaire à l'OCDE le jeudi 28 septembre, Agnès-Pannier Runacher, la ministre de la Transition énergétique, a vivement critiqué les pays européens qui rejettent cette forme d'énergie.
Il ne fait aucun doute que Berlin est la cible de l'assistance. Depuis l'adoption du Green Deal européen en 2020, un accord visant à organiser la transition énergétique au sein de l'Union européenne et à réduire les émissions de gaz à effet de serre de plus de 50% d'ici 2030, la France et l'Allemagne sont engagées dans une lutte acharnée.
Découvrez également pourquoi l'Allemagne met fin, cette fois-ci, de manière définitive à ses centrales nucléaires.
Au centre de ce conflit se trouve l'énergie nucléaire, qui est la principale source d'électricité en France mais qui n'est plus utilisée en Allemagne. Chaque partie rassemble ses partisans. En début d'année, Paris a formé l'Alliance du nucléaire avec quinze pays européens. Leur argument est que cette source d'énergie, qui ne produit pas de carbone, est essentielle car les énergies renouvelables ne seront pas suffisantes pour remplacer les énergies fossiles.
En revanche, Berlin a réussi à convaincre le Luxembourg, l'Autriche et l'Espagne. Selon eux, l'énergie nucléaire n'est pas considérée comme une source d'énergie propre en raison des dangers d'accidents et de la toxicité de ses déchets, qui restent dangereux pendant des milliers d'années.
Une réforme essentielle du marché européen est nécessaire. La France a pensé qu'elle avait remporté une victoire lorsque, en juillet 2022, après de longues négociations, elle a réussi à faire intégrer l'énergie nucléaire dans la liste des énergies "vertes" pouvant bénéficier de financements de Bruxelles pour la transition énergétique. L'Allemagne s'y est opposée, mais a fait pression pour inclure le gaz, malgré le fait qu'il s'agisse d'une ressource fossile plus polluante en termes d'émissions de CO2. L'Europe a finalement trouvé un compromis.
Selon Pascal Canfin, président de la commission de l'Environnement au Parlement européen, les Allemands ont admis que l'énergie nucléaire, qui ne produit pas de carbone, est bénéfique pour la transition énergétique. De leur côté, les Français ont accepté d'intégrer le gaz lorsqu'il remplace les centrales à charbon. Cependant, cette situation n'était que la première étape. À chaque nouvelle législation, l'Allemagne a continué à s'opposer à l'énergie nucléaire. En juin dernier, la France a réussi à grand peine à faire reconnaître le rôle du nucléaire dans la directive européenne sur les énergies renouvelables.
Ensuite, la lutte s'est déplacée vers l'hydrogène vert, qui est un élément clé de la stratégie allemande de transition énergétique (Energiewende) pour remédier aux fluctuations des énergies renouvelables. La question est de savoir s'il faut uniquement prendre en compte les molécules d'hydrogène produites à partir d'énergies éoliennes ou solaires, comme le demande l'Allemagne, ou si l'on peut élargir le champ aux électrons provenant de l'énergie nucléaire, comme le souhaite la France. Il pourrait y avoir un compromis en vue.
Suite aux demandes des partis politiques écologistes, l'Allemagne a progressivement abandonné l'énergie nucléaire, qui représentait 22% de son approvisionnement électrique dans les années 2000. Contrairement à cela, la France, qui bénéficie d'une électricité nucléaire abondante et peu coûteuse, a adopté une stratégie opposée, ce qui renforce sa compétitivité face à l'économie allemande.
Selon Till Mansmann, responsable de la stratégie de l'Allemagne en matière d'hydrogène, il est important de comprendre que l'hydrogène produit à partir de sources nucléaires ne peut pas être considéré comme une source d'énergie verte. Cependant, il reconnaît également que pour mener à bien notre transition énergétique, il est nécessaire d'explorer davantage les différentes possibilités d'hydrogène.
La réforme du marché européen de l'électricité est confrontée à une grande bataille à venir. L'opposition de Berlin, qui est à la fois politique, économique et diplomatique, se manifeste de différentes façons, sans doute dans un but caché. La France, avec son électricité nucléaire abondante et peu coûteuse – deux fois moins chère qu'en Allemagne – est perçue comme une menace pour la compétitivité de l'économie allemande.
La décision de relancer le programme nucléaire français, ainsi que le conflit en Ukraine et l'augmentation des prix de l'électricité, ont contribué à une augmentation de la tension. Un rapport récent de l'Ecole de Guerre souligne que Berlin cherche à affaiblir l'économie française et à déstabiliser la filière nucléaire en contrôlant les institutions européennes.
Fabien Bouglé, expert et auteur du livre Guerre de l'Energie (Editions du Rocher), va jusqu'à envisager une situation catastrophique. Selon lui, les actions menées par l'Allemagne contre l'énergie nucléaire française au cours des vingt dernières années pourraient éventuellement évoluer vers un conflit réel en Europe, si aucune mesure n'est prise pour l'éviter.
La Finlande a mis en fonctionnement son nouvel réacteur nucléaire tandis que l'Allemagne a éteint ses derniers.
Comment en sommes-nous arrivés là? L'Allemagne a toujours été opposée à l'énergie nucléaire sous la pression des partis écologistes. Cependant, dans les années 2000, l'énergie nucléaire représentait 22% de la production d'électricité allemande, provenant de 17 réacteurs. À cette époque, le chancelier Schroeder annonce que l'Allemagne abandonnera cette source d'énergie d'ici 2020. Angela Merkel repousse cette échéance d'une quinzaine d'années, mais après la catastrophe de Fukushima en 2011, elle change soudainement d'avis, souhaite sortir de l'énergie nucléaire le plus rapidement possible et ferme 8 réacteurs.
Le pays progresse rapidement dans le domaine des énergies renouvelables. Cependant, le projet immense de l' Energiewende – qui demande plus de 1.000 milliards d'euros pour la transition énergétique – s'avère être plus complexe que prévu. Même si l'éolien et le solaire se développent, notre pays voisin, qui a abandonné l'énergie nucléaire, est contraint de réouvrir des centrales à charbon et d'importer plus de gaz russe.
Paris souhaite réviser les règles
L'Allemagne avait l'intention de réaliser une transformation écologique majeure. Cependant, elle se retrouve avec une augmentation de son empreinte carbone et une diminution de sa souveraineté. L'hiver dernier, lorsque Poutine a interrompu l'approvisionnement en gaz, le chancelier Olaf Scholz a dû faire une tournée dans les pays producteurs pour trouver des solutions alternatives. En conséquence, il a décidé de prolonger l'exploitation des trois dernières centrales nucléaires encore en activité.
Cependant, il est hors de question pour Merkel de revenir sur sa décision. Selon Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert-Schuman, l'Allemagne n'est pas encline à changer d'avis. En avril, les trois centrales seront fermées. Pour protéger les entreprises énergivores, l'Allemagne envisage de mettre en place un bouclier énergétique coûteux afin de limiter les coûts de l'énergie à un niveau similaire à celui de l'énergie nucléaire en France.
La France a également été durement touchée par l'impact de la hausse des prix de l'énergie… en partie en raison des règles de fixation des prix de l'électricité en Europe, qui sont étroitement liées aux prix du gaz. Cela a empêché la France de bénéficier de sa production nucléaire, qui est moins coûteuse.
Voici comment la France envisage de "réguler" les prix de l'électricité pour retrouver son pouvoir de décision.
La ville de Paris souhaite donc modifier les règles afin de trouver une solution qui lui permette de tirer parti des particularités du système électrique français. Cependant, Berlin refuse cette proposition pour le moment. Pascal Canfin met en garde en disant que la question maintenant est de décider si nous devons faire cette réforme seuls ou dans le cadre d'un accord européen.
Pendant ce temps, les disputes concernant l'énergie entre la France et l'Allemagne retardent la mise en œuvre du Green Deal et ne contribuent pas à préserver la compétitivité de l'Europe, qui est mise à l'épreuve face à la Chine et aux États-Unis, qui sont déjà prêts à agir.
Énergie nucléaire en Allemagne
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