La génération Z face au ‘flight shaming’: le dilemme des jeunes en entreprise et dans les transports aériens

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"La honte de prendre l'avion" : est-ce que les jeunes sont encore intéressés à voyager en avion et à travailler dans le secteur aéronautique ?

Par Claire Bouleau le 09/11/2023 à 14h00. Durée d'écoute : 10 minutes. Abonnés.

Est-ce que les jeunes Français âgés de 18 à 25 ans se sentent coupables de prendre l'avion ? Est-ce qu'ils sont nombreux à boycotter ce moyen de transport ? Une enquête menée par Challenges a révélé que la génération Z est divisée sur cette question. Beaucoup de jeunes sont sensibles aux problématiques environnementales et se disent prêts à réduire leurs voyages en avion, même s'ils continuent à utiliser les compagnies aériennes à bas coût. Cependant, ils restent attirés par le secteur de l'aéronautique, qui offre de nombreuses opportunités.

Malgré le froid glacial, une vingtaine de personnes se tiennent devant le bâtiment en couleur terracotta du Riksdag, le Parlement suédois, à Stockholm, le 20 octobre. Ils ont des sacs d'école sur le dos, des bonnets enfoncés sur la tête et des banderoles qu'ils brandissent. Qui sont-ils ? Ce sont les membres de Fridays for Future, un mouvement écologiste composé de jeunes de moins de 26 ans, né après la première grève des collégiens et lycéens initiée par Greta Thunberg en 2018.

Chaque semaine, Karla, Anton, Béatrice et les autres participent à des manifestations. Et lorsqu'on leur demande leur opinion sur les voyages en avion, tous répondent de la même manière : "Je fais tout mon possible pour les éviter." Isabelle Axelsson, âgée de 22 ans, l'une des premières membres du mouvement, déclare : "Pour me rendre en Grèce cet été, j'ai choisi de prendre le train puis le ferry."

Phénomène secondaire ou tendance durable ? Selon Paul Chiambaretto, professeur à Montpellier Business School et président de la Chaire Pégase, la génération Z, née entre 1998 et 2007, deviendra de plus en plus présente parmi les passagers aériens dans les années à venir. Cependant, cela pourrait changer si cette génération, préoccupée par l'avenir de la planète, décide de boycotter ce mode de transport.

Actuellement, l'aviation n'est pas menacée, car le trafic aérien, qui est déjà revenu à son niveau d'avant la pandémie, devrait connaître une croissance exponentielle au cours des dix prochaines années. Cependant, alors que le débat sur la culpabilité de prendre l'avion gagne en intensité, combien de jeunes ont été inspirés par l'exemple de Greta et ont commencé à changer leurs habitudes de voyage ?

En savoir plus sur les limites que les Français sont prêts à franchir pour protéger l'environnement, que ce soit en termes d'avion, d'Internet ou de voitures électriques.

Dans différentes régions du monde, la situation quant à l'utilisation de l'avion est contrastée. Dans les pays émergents, les critiques concernant l'impact environnemental de l'avion sont encore peu présentes. Pour les jeunes Indiens ou Chinois, prendre l'avion est considéré comme un signe de réussite sociale plutôt que comme une pratique condamnable. De plus, ils ne bénéficient pas des mêmes infrastructures ferroviaires et routières que l'Europe. "L'un des premiers désirs des classes moyennes émergentes est de voyager", souligne Laurent Timsit, délégué général de la Fnam (Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers), qui rappelle que selon l'OCDE, le trafic aérien en Asie sera multiplié par huit et presque par dix en Afrique entre 2020 et 2050.

En France, le débat est plus intense, même si cela ne se reflète pas toujours dans la réalité. D'après une étude de l'Alliance France Tourisme publiée en mai dernier, les jeunes Français âgés de 18 à 35 ans préfèrent largement prendre l'avion (54 %) plutôt que le train (35 %) pour se rendre en vacances. La raison est simple : c'est souvent un moyen de transport peu coûteux, surtout sur les compagnies aériennes à bas prix. Cependant, "le critère principal pour choisir un moyen de transport pour cette génération est le prix", avertit Paul Chiambaretto. Les 18-25 ans constituent la catégorie de passagers la plus importante chez Transavia ou easyJet. Par exemple, Camille Ouya, 28 ans, consultant en stratégie, choisit ses destinations en fonction des billets les moins chers, principalement via des compagnies aériennes à bas prix. Elle prend l'avion de 9 à 12 fois par an, et il y a trois mois, elle a effectué le trajet Paris-Berlin, Berlin-Oslo, Oslo-Göteborg puis Göteborg-Paris pour seulement 192 euros.

Une raison unique ne peut pas expliquer cela, car il s'agit également d'une génération qui recherche des expériences car "la possession ne leur suffit plus", explique Elodie Gentina, une enseignante-chercheuse à l'Ieseg et conférencière, qui est également l'auteure du livre "Manager la génération Z". "Environ un cinquième des jeunes de la génération Z souhaite vivre des expériences. Ils sont postmatérialistes."

Cependant, il convient de noter que selon une enquête menée par la Fondation Jean-Jaurès en 2022, les jeunes aventuriers frénétiques sont peu nombreux : seulement 3% des 18-24 ans prennent l'avion plusieurs fois par mois. En revanche, près de 70% d'entre eux ne volent jamais ou le font de manière exceptionnelle. De plus, parmi ceux qui prennent l'avion au moins une fois par an, 57% seraient prêts à réduire leur utilisation, selon un sondage Odoxa réalisé pour Challenges. Ce chiffre atteint même 73% chez les 25-34 ans. "Une partie de la jeunesse est consciente du changement climatique", confirme Charlène Fleury, coordinatrice France du mouvement Rester sur Terre. Cependant, elle attend des mesures collectives plus puissantes et rejette les petits gestes.

Cependant, la militante souligne que l'avion a une empreinte carbone importante pour chaque individu. En prenant en compte les traînées de condensation, les émissions de carbone du secteur aérien représentent 5 % de l'impact global. C'est beaucoup moins que le secteur de la construction ou de l'industrie manufacturière, mais compte tenu du faible nombre d'utilisateurs (11 % de la population mondiale), cela reste significatif.

Selon cet article, le métavers pourrait être une solution écologique pour contrer le tourisme de masse.

Les compagnies aériennes et les constructeurs sont inquiets quant à l'impact que ces arguments pourraient avoir sur leur réputation. Le pavillon français, l'un des principaux exportateurs d'aéronefs au monde, risque de perdre ses talents. Certains, comme Ange Blanchard, 25 ans, ont déjà fait le choix de quitter le secteur. Malgré sa passion pour l'aviation, ce diplômé de l'Isae-Supaero a décidé de se tourner vers une thèse sur l'économie du climat après avoir pris conscience de l'importance de l'environnement pendant ses études. Thierry Lindenau, recruteur spécialisé dans le domaine de l'aérien chez Heidrick & Struggles, alerte sur le risque de finir comme Philip Morris.

L'industrie de l'aviation, qui pourrait bientôt être aussi mal vue que l'industrie du tabac ? Selon Olivier Chansou, directeur de l'École nationale de l'aviation civile (ENAC), les responsables des ressources humaines sont préoccupés par le fait d'être désormais considérés comme des pollueurs. "Le secteur se considérait tellement comme un symbole de l'industrie française qu'il ne s'est pas du tout préparé."

La situation a évolué et la remise en question ne provient pas seulement des militants radicalisés. En 2020, plus de 700 étudiants du domaine de l'aéronautique ont signé une tribune dans Le Monde pour demander une réduction du trafic aérien. Loïc Bonifacio, âgé de 25 ans à l'époque et étudiant à l'école d'ingénieurs Estaca, faisait partie de ces étudiants. Après ses études, il a rejoint les collectifs Pour un réveil écologique et Aéro Décarbo. "Nous agissons comme des consultants de l'ombre avec un rôle de trouble-fête. Nous perturbons les entreprises en coulisses ou publiquement."

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Air France est attentive

Plutôt que de mépriser ces rebelles bien intentionnés, Vincent Etchebehere, le directeur du développement durable d'Air France, les écoute attentivement, tout comme il se rend souvent dans les écoles pour discuter des avions et du climat. « Air France reste attrayante, avec 50 000 candidatures reçues entre janvier et fin septembre, principalement de jeunes, ce qui est stable et rassurant », souligne-t-il. Cependant, il ne faut pas rester les bras croisés. Lors des entretiens d'embauche, parmi les trois principales questions qui nous sont posées, il y a : « Que fait Air France en termes d'engagement pour l'environnement ? » Il y a trois ans, ce n'était pas le cas. »

Ce changement vers le développement durable ne concerne pas seulement la compagnie nationale. Dans une récente étude menée auprès de jeunes diplômés des grandes écoles, Manuelle Malot, directrice des Carrières et du Centre NewGen Talent de l'Edhec, a observé que les diplômés de Polytechnique, de Centrale, des Mines, des Ponts, des Arts et métiers et de Supaéro qui travaillent aujourd'hui dans l'aéronautique se présentent comme des acteurs internes souhaitant participer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les moyens de transport. Vianney Martin, âgé de 27 ans et titulaire d'un double diplôme d'Audencia et de Centrale Supélec, en est un exemple parfait. En tant que responsable du département aérien du commissaire de transport Ovrsea, passionné d'aviation depuis son enfance et titulaire d'une licence de pilote, il déclare : "Je préfère travailler directement au cœur du réacteur pour avoir un impact à mon échelle sur la pollution du fret aérien."

De nos jours, de plus en plus d'étudiants préfèrent rejoindre des start-up telles que VoltAero ou Aura Aero, qui développent l'avion écologique de demain, plutôt que de travailler pour de grandes entreprises. Selon Olivier Lesbre, directeur de l'Isae-Supaero, seulement 50% des étudiants choisissent désormais de travailler pour un grand groupe, contre 75% il y a dix ans.

Cependant, Guillaume Faury, le président exécutif d'Airbus, n'est pas inquiet pour le moment. Pour la quatorzième année consécutive, son groupe reste l'entreprise préférée des étudiants en génie. Hélène Clavé, responsable des affaires sociales à la Fnam, affirme que l'avion continue de faire rêver. La seule préoccupation concerne les métiers de maintenance, mais cela n'est pas lié aux critiques envers l'aviation. Mathieu de Redon, responsable des activités du cabinet de recrutement Michael Page dans la région du Sud-Ouest, qui est le berceau de l'industrie aéronautique française, confirme cette tendance. Au lieu de constater un désintérêt pour le secteur, il observe au contraire une augmentation des candidatures de jeunes diplômés dans le domaine de l'aéronautique.

Rédigé par Claire Bouleau (correspondante envoyée en Suède)

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