Problèmes Société Protection
La France en "mode de gestion de crise économique"? Pourquoi ce scénario est encore loin d'être une réalité
Par Vincent Lamigeon
Publié le 27.03.2024 à 14h59
Temps de lecture: 8 minutes
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Lors d'une conférence de presse le mardi 26 mars, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a déclaré, en se basant sur des données chiffrées, que la production d'armement de l'industrie française était en train de progresser. Bien que cette progression soit notable, la France est encore loin d'atteindre une véritable "économie de guerre".
L'exercice était très sérieux et cela s'est confirmé. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a réuni un grand nombre de hauts gradés lors d'une conférence de presse pour discuter de l'augmentation de la production française d'armement. Sur la scène de l'amphithéâtre de Balard, on pouvait voir le chef d'état-major des armées, les chefs d'état-major de l'armée de terre, de l'armée de l'air et de la marine, ainsi que d'autres responsables. Il y avait environ trente étoiles, entourées de membres du Parlement et d'anciens responsables de la défense. Les femmes étaient absentes de la scène, à l'exception de la directrice de la stratégie et des relations internationales, Alice Rufo, qui était assise au premier rang.
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Cependant, qu'est-ce qu'on peut tirer de cet exercice relativement solitaire, où seuls quelques officiers supérieurs ont eu l'occasion de s'exprimer brièvement ? Face aux interrogations concernant la politique économique de guerre du président, il était essentiel de démontrer que l'augmentation de la production d'armes françaises, rendue indispensable par le contexte international, progressait de manière satisfaisante.
Il est possible que des demandes de fournitures militaires soient faites à l'avenir. Lors de son discours d'ouverture, le ministre a présenté un diaporama détaillant les contrats récents : 1 500 missiles antichars MMP (Akeron MP, coûtant 400 millions d'euros), 300 missiles sol-air courte portée Mistral 3 (150 millions), 200 missiles sol-air longue portée Aster (900 millions d'euros), 500 missiles air-air Mica NG (700 millions) et 55 000 obus de 155 mm (600 millions). D'autres commandes sont à prévoir, selon Sébastien Lecornu : des missiles air-air longue portée Meteor, 200 Aster supplémentaires, et un nouveau lot de Mica NG.
Peu de temps après, la deuxième partie du rapport concerne les montants des commandes passées par les grands industriels pour des équipements qui doivent encore être livrés. Thales a reçu des commandes totalisant 6 milliards d'euros, Airbus Defence & Space 5 milliards, Airbus Helicopters 5 milliards, Dassault Aviation 5 milliards, Naval Group 4 milliards, MBDA 3 milliards, Safran 2 milliards, Nexter 1,5 milliard, les petits chantiers navals (Socarenam, Piriou…) 1,5 milliard, et Arquus 1 milliard.
Le gouvernement a clairement indiqué à l'industrie qu'il a fait sa part en commandant massivement (20 milliards d'euros en 2023) et qu'il est maintenant temps pour l'industrie d'accélérer sa production. Le ministre des Armées a également mentionné la possibilité de faire des réquisitions et de prioriser la commande militaire avant la commande civile, ainsi que d'imposer des stocks minimaux en cas de cadences de production insuffisantes. Il a notamment évoqué le cas de certains fournisseurs du missile Aster, mais a souligné que ce dispositif était une mesure de dernier recours.
En 2024, 100 000 obus ont été fabriqués. Le ministre a exprimé sa satisfaction quant à l'augmentation de la production de divers équipements militaires tels que le canon Caesar, les missiles Mistral, le Rafale et les radars GM200 et GM400. Il a également noté la hausse de la production de bombes guidées AASM, qui atteindra 600 unités cette année et 1 200 en 2025, principalement destinées à l'Ukraine. En ce qui concerne les Scalp, le ministre n'a mentionné que 40 livraisons à venir, sans donner plus de détails.
Le ministre a souligné l'importance de produire plus rapidement des obus de 155 mm, ce qui est crucial pour l'armée ukrainienne. Il a mentionné qu'en 2024, grâce à de nouvelles capacités de production de poudre, ils pourraient fournir 100 000 obus, dont 80 000 pour l'Ukraine et 20 000 pour leurs propres besoins. La construction de la nouvelle usine de poudre d'Eurenco à Bergerac permettra d'atteindre l'objectif de 150 000 obus par an à partir de 2025, ce qui contribuera à relancer une industrie française disparue en 2007.
Une autre bonne nouvelle est que le financement nécessaire pour livrer les 78 canons Caesar promis à l'Ukraine cette année a été confirmé par le ministre des Armées. Jusqu'à présent, seuls 18 canons étaient garantis, avec 12 payés par la France et 6 par l'Ukraine. Le Danemark achètera une partie des 60 autres canons prévus pour Kiev, mais le nombre exact n'a pas été divulgué. Le reste du financement sera assuré par la France.
La France se classe troisième en termes de budget de défense en Europe. Cela soulève la question de savoir si la France est en train de passer en mode "économie de guerre". Bien que l'effort financier et la hausse de la production soient indéniables, l'expression "économie de guerre" semble inappropriée et même trompeuse. En 2022, la fondation Jean Jaurès a donné une définition précise de ce concept : il s'agit de la mobilisation des ressources économiques pour soutenir un effort de guerre à grande échelle. Dans ce contexte, l'État prend le contrôle d'une grande partie des entreprises et des ressources pour les intégrer dans une planification autoritaire visant à garantir aux armées les moyens dont elles ont besoin.
Une économie de guerre se caractérise en premier lieu par des données chiffrées. Selon une étude de la fondation Jean Jaurès, les dépenses militaires des États-Unis ont représenté jusqu'à 37 % du PIB américain et 90 % des dépenses fédérales pendant la Seconde Guerre mondiale. La production d'avions de combat a été multipliée par vingt-huit entre 1939 et 1944, par dix-sept pour les navires de guerre et par vingt pour les munitions. En comparaison, la France produit seulement deux Rafale par mois, 50 missiles Mistral par mois et une frégate tous les 18 mois, ce qui est bien en deçà des niveaux des États-Unis pendant la guerre.
L'Ukraine et la Russie sont en situation d'économie de guerre, consacrant respectivement 35% et 6% de leur PIB aux conflits armés. En revanche, la France ne consacre que 2% de son PIB à sa défense, même si son budget militaire a doublé sous les deux mandats de Macron. La France se classe troisième en termes de budget militaire en Europe, derrière le Royaume-Uni et l'Allemagne, cette dernière n'ayant pas à dépenser les 5 milliards d'euros annuels consacrés à la dissuasion.
Aussi, il est intéressant de noter que la France a dépassé la Russie en termes d'exportations d'armement.
L'importance des achats de missiles et de munitions passés à l'industrie doit être examinée de manière critique. Les 200 missiles Aster commandés seront rapidement épuisés si leur utilisation continue au rythme actuel en mer Rouge (22 missiles tirés depuis décembre). De plus, pour lancer des missiles, il est nécessaire d'avoir les systèmes appropriés, ce qui n'est pas le cas pour la défense sol-air de moyenne portée. La France ne possède que huit systèmes SAMP/T Mamba, dont un déployé en Roumanie, un en Ukraine et les autres sur les bases françaises liées à la dissuasion. La loi de programmation militaire n'a pas prévu d'augmentation de cet équipement clé : la cible pour 2030 reste à huit Mamba, un nombre jugé insuffisant par l'armée de l'air et de l'espace, mais maintenu dans la version finale. De même pour la portée courte, où la dizaine de Crotale NG sera remplacée par huit VL Mica.
Il faut prendre du recul par rapport aux augmentations de cadences de production dans l'industrie française. Par exemple, le missile Mistral de MBDA sera fabriqué à environ 500 exemplaires en 2025, alors que le LMM britannique produit par Thales à Belfast atteint une cadence de plusieurs milliers de missiles par an. De même, la France a commandé 1 500 missiles antichars MMP, mais le Royaume-Uni a commandé plusieurs milliers de NLAW suédois, qui ont déjà prouvé leur efficacité en Ukraine. En outre, Nexter renforce ses capacités de production, mais son concurrent allemand, Rheinmetall, va encore plus loin en prévoyant une production d'1,1 million d'obus d'ici 2027. Rheinmetall vient d'ailleurs de poser la première pierre d'une nouvelle usine en Basse-Saxe, avec un investissement de 300 millions d'euros.
En ce qui concerne la fabrication d'armes, la France avance certainement, mais il est peu probable qu'elle le fasse plus rapidement que ses pays voisins.
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