Difficultés Société Déplacements
Problème en mer: au canal de Panama, la principale inquiétude n'est pas politique, mais plutôt liée à la disponibilité de l'eau. Par Vincent Beaufils, publié le 18.12.2023 à 16h30. Durée d'écoute: 7 minutes. Réservé aux abonnés.
Le canal de Suez est grandement perturbé par les attaques des rebelles houthis du Yémen, mais le deuxième canal le plus fréquenté au monde est confronté à une toute autre menace. Pour le canal de Panama, le principal danger est la pénurie d'eau.
Juste au moment où les principales compagnies maritimes du monde entier décidaient de protéger leurs navires traversant la mer Rouge, elles ont reçu un petit réconfort en provenance du Panama. L'Autorité du canal a en effet décidé d'augmenter de 22 à 24 le nombre de passages quotidiens autorisés par cette voie interocéanique. C'est une bonne nouvelle pour eux.
Bien entendu, pour le trafic entre l'Asie et l'Europe, qui est menacé par les rebelles houthis au Yémen, il n'y a pas d'autre alternative que de passer par le Panama. Cependant, pour les porte-conteneurs qui approvisionnent la côte est des États-Unis à partir de la "fabrique mondiale", le Panama permet de gagner six jours par rapport au trajet par le canal de Suez. Alors, maintenant que la route concurrente par le Moyen-Orient est peu sûre, les Panaméens devraient être ravis. Et pourtant…
Il y a six mois, la voie navigable du canal de Panama a été confrontée aux risques liés au réchauffement climatique et à la décision difficile de choisir entre la protection de cette voie navigable emblématique de la mondialisation – qui représente 3,5% du fret mondial et 40% du trafic de conteneurs entre l'Asie et la côte est des États-Unis – et la nécessité de fournir de l'eau potable aux quatre millions de Panaméens. En effet, le canal est le seul canal maritime qui dépend de l'eau douce, ce qui est paradoxal étant donné que les Américains ont créé un lac artificiel situé à 27 mètres au-dessus du niveau de la mer, après l'échec du projet de Ferdinand de Lesseps de construire un canal à niveau alimenté par l'eau de mer, à l'instar du canal de Suez. Pour franchir le lac Gatun et redescendre 80 kilomètres plus loin, les bateaux doivent passer par trois écluses qui consomment 200 000 m3 d'eau douce à chaque passage.
Malgré le fait que Panama soit le troisième pays le plus pluvieux au monde, il n'échappe pas à la sécheresse. En raison de l'effet du courant El Nino, qui réchauffe les eaux du Pacifique de deux degrés, il y a eu une diminution de 25 % des précipitations en 2023 par rapport à une année normale. John Langman, responsable du service hydrologique du Canal, se plaint de cette situation. En conséquence, à la fin de la saison des pluies en décembre, le niveau du Lac Gatun est deux mètres en dessous de son niveau habituel, ce qui oblige à maintenir des restrictions.
Selon John Langman, responsable du service hydrologique du Canal, nous avons connu une baisse de 25% des précipitations en 2023 par rapport à une année normale.
Au mois de mai, la saison sèche a commencé à se prolonger, ce qui a amené les compagnies maritimes à recevoir l'avis de réduire le tirant d'eau de leurs navires de deux mètres. CMA CGM, la troisième plus grande compagnie maritime au monde, qui exploite des porte-conteneurs de 14 000 boîtes, souligne que cela a des conséquences considérables. En effet, cela équivaut à une diminution de près de 20 000 tonnes de fret. Certains concurrents ont même choisi de décharger les conteneurs "en surpoids" à l'entrée du canal et de les recharger à l'autre extrémité.
Le leader mondial du transport maritime, CMA CGM, continue d'étendre ses activités dans le domaine de la logistique.
« Le canal de Panama, accompagné de la ligne de chemin de fer et de l'autoroute qui le longent, constitue un véritable système de transport intermodal », se console « Catin » Vasquez. Cependant, il omet de mentionner que chaque train transportant 110 conteneurs coûte environ 100 000 dollars. De plus, il peut parfois en falloir une dizaine pour acheminer les marchandises excédentaires… qui s'ajoutent à un péage voisin d'un million de dollars pour les grands navires. Cela a incité les armateurs à prévoir une augmentation des tarifs pouvant atteindre 10 %, ce qui ne semble pas inquiéter l'administrateur, convaincu de la compétitivité de la voie navigable, d'autant plus que la navigation en mer Rouge est devenue également risquée.
Malgré les restrictions de tirant d'eau à Panama, il a été nécessaire de réduire également le nombre de transits. En juillet, la moyenne est passée de 36 à 32, puis à 24 en novembre et à 22 en décembre, avant de remonter à 24 en janvier 2024, selon les plans de l'ACP. Les "abonnés", tels que CMA CGM, sont prioritaires, mais ceux qui arrivent sans réservation et ont besoin de doubler la file d'attente pour traverser l'isthme (70 bateaux fin décembre) doivent faire attention. Pour ces imprévoyants, Vasquez, défenseur de la loi du marché, a mis en place des "prix dynamiques", qui consistent en une vente aux enchères de créneaux immédiatement disponibles. "Un navire avec une cargaison de pétrole liquéfié d'une valeur de 150 millions de dollars a enchéri plus de deux millions de dollars pour passer en express", se réjouit l'administrateur, qui espère ainsi limiter à 200 millions de dollars la perte de revenus de l'ACP.
L'ingénieur Jorge Quijano, qui a précédé le poste actuel, exprime moins d'optimisme en affirmant que les restrictions pourraient entraîner une perte de revenus d'un milliard de dollars, sur un budget total de 4,8 milliards de dollars, dont la moitié est reversée à l'État de Panama. Pourtant, lorsqu'il a quitté son poste à l'automne 2019, il avait averti son successeur que la question de l'eau serait son principal problème. Il avait également fait part de cette préoccupation à tous les candidats à l'élection présidentielle de Panama quelques mois auparavant.
En 2017, nous avons connu une année de sécheresse importante. Cependant, malgré cela, les besoins en eau ont augmenté en raison de l'élargissement du canal et de la construction de nouvelles écluses. En tant qu'ex-administrateur, j'ai demandé au président Juan Carlos Varela, qui souhaitait augmenter le prélèvement d'eau dans le lac Gatun pour la population, de mettre à jour une ancienne étude afin de créer un barrage sur le rio Indio. Cette zone, peu peuplée et située à seulement huit kilomètres du canal, permettrait de rétablir les volumes d'eau nécessaires pour le transit d'une douzaine de bateaux supplémentaires chaque jour. Cela compenserait exactement ce que le canal de Panama perd pour fournir de l'eau potable à la ville.
Après cinq ans et l'arrivée d'un nouveau président, aucune décision n'a été prise, bien que l'investissement nécessaire – d'environ un milliard de dollars – soit facilement rentable. Cependant, pour prendre de telles décisions qui seraient bénéfiques à l'économie mondiale ainsi qu'à la population, il faudrait un homme d'État, déplore Quijano. Malheureusement, nous n'avons que des politiciens… Ces mêmes politiciens se retrouveront en mai prochain pour les élections présidentielles. Les files d'attente et les "prix dynamiques" pour les armateurs seront toujours présents, tout comme le manque d'eau potable pour les Panaméens.
"Panama"
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