La course à l’orbite : quelle start-up européenne remportera le défi des lanceurs spatiaux ?

Difficultés Société

Start-up européennes dans la compétition pour les lanceurs spatiaux, qui sortira gagnant ?

Par Vincent Lamigeon, publié le 25 décembre 2023 à 14h00. Durée de l'audio : 11 minutes. Réservé aux abonnés.

Plusieurs start-up européennes, telles que Isar Aerospace, RFA, Orbex et MaiaSpace, se disputent la première place pour devenir la prochaine star dans le domaine des petits lanceurs spatiaux. Ce marché offre de grandes opportunités, mais la concurrence sera rude, notamment avec SpaceX d'Elon Musk, un concurrent redoutable.

Fabrication d'un lanceur par Isar Aerospace à Munich. Ayant recueilli 310 millions d'euros depuis sa fondation en 2018, cette jeune entreprise est bien positionnée dans la compétition européenne.

Il s'agit d'un bâtiment discret situé dans une impasse de la zone industrielle d'Ottobrunn, près de Munich en Allemagne. Quelques camions semi-remorques sont à l'arrêt, avec une façade sans fenêtres et une porte sécurisée. Soudain, on entre dans un grand hall rempli de machines et d'équipements de tests, où 150 techniciens de la start-up allemande Isar Aerospace fabriquent les composants du petit lanceur spatial Spectrum. Ce lanceur doit effectuer son premier vol à Andoya en Norvège l'année prochaine. Le site est en pleine activité, avec une demi-douzaine d'imprimantes 3D portant les noms d'astronautes célèbres (Armstrong, Aldrin, Collins) qui produisent des pièces pour les moteurs. Des robots usinent également des pièces complexes 24 heures sur 24.

Découvrez également l'article sur Isar Aerospace, une entreprise allemande qui aspire à devenir le SpaceX européen.

À quelques mètres de là, se trouve un énorme autoclave qui mesure 26 mètres de long et qui sert à terminer les fuselages en composites. Les parties supérieures et les étages du premier lanceur Spectrum sont déjà terminés, tout comme la plupart de ses dix moteurs. Josef Fleischmann, directeur technique et cofondateur du groupe, explique que l'objectif est d'envoyer les éléments du lanceur en Norvège avant Noël.

Découvrez également que les fusées développées par l'entreprise allemande Isar Aerospace seront lancées depuis Kourou en 2024.

Une ascension rapide

Bienvenue dans le cœur du New Space européen, un environnement où évoluent de nouveaux entrepreneurs dans le domaine spatial. Avec un financement total de 310 millions d'euros depuis sa fondation, Isar Aerospace, créé en 2018 par d'anciens étudiants de l'université de Munich, s'est positionné comme l'un des principaux acteurs d'une course à l'espace sans précédent en Europe.

Quelques années après les entreprises américaines concurrentes, environ quinze start-up européennes se sont lancées dans le domaine des micro-lanceurs et des mini-lanceurs, qui ont une capacité de charge utile allant de 100 à 2 000 kg. Ces fusées sont dix à vingt fois moins puissantes que l'Ariane 6 ou le Falcon 9 de SpaceX. Parmi ces entreprises, on retrouve des groupes allemands tels que Isar Aerospace, RFA et HyImpulse, des acteurs britanniques comme Orbex et Skyrora, une start-up espagnole nommée PLD Space, ainsi que cinq entreprises françaises ayant pris du retard, à savoir MaiaSpace, Latitude, Dark, Sirius Space Services et HyPrSpace.

L'objectif est évident : prendre une grande part d'un marché en croissance rapide, stimulé notamment par les nombreux projets de constellations de satellites en orbite basse pour des services de télécommunication ou d'observation. Selon le cabinet Euroconsult, il faudra lancer 26 000 satellites pesant moins de 500 kg au cours des dix prochaines années, ce qui représente 1,5 tonne de satellites à mettre en orbite chaque jour.

Dans cette compétition féroce, chaque acteur a sa propre stratégie. Isar Aerospace, tout comme SpaceX, mise sur l'intégration verticale. Selon Josef Fleischmann, "Nous produisons la grande majorité des composants de nos fusées en interne, soit environ 80%. Cela nous permet d'avoir un contrôle total sur nos technologies et d'être extrêmement rapides : nous sommes actuellement capables de produire un moteur par semaine, et nous pourrions augmenter cette cadence à un tous les deux jours et demi si nécessaire." Ces capacités nous permettent de viser une croissance rapide.

Les Allemands sont en avance

Selon Alexandre Dalloneau, vice-président responsable des lancements du groupe allemand et ancien employé d'Arianespace, l'objectif des premières années est d'atteindre progressivement 20 lancements par an, dont 10 depuis Andoya et 10 depuis Kourou. Il espère ensuite pouvoir augmenter ce chiffre à 40 lancements par an d'ici la fin de la décennie.

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Les entreprises espagnole PLD Space, allemande Hy-Impulse et française HyPrSpace ont décidé de se familiariser avec les fusées suborbitales avant de passer aux lanceurs orbitaux. Ces fusées suborbitales ne parviennent pas à atteindre l'orbite. Quant à l'entreprise française Dark, elle a été fondée par deux anciens de la société MBDA spécialisée dans les missiles. Dark prévoit de lancer ses fusées à partir d'un avion de ligne modifié, à l'instar de Virgin Orbit, ce qui permettrait d'atteindre n'importe quel point de l'orbite basse en quelques heures.

La société Latitude, basée à Reims, est en train de concevoir un lanceur appelé Zéphyr, qui est adapté pour transporter des charges de moins de 100 kg. En revanche, les lanceurs d'Isar Aerospace et de RFA peuvent transporter plus d'une tonne de charge utile. Le dernier acteur à rejoindre le marché est MaiaSpace, qui prévoit de développer un lanceur réutilisable d'ici la fin de 2021. Ce lanceur permettra de récupérer le premier étage, à l'instar du Falcon 9 de SpaceX.

Emmanuel Macron exerce une pression sur Rome et Berlin en ce qui concerne les affaires spatiales.

Qui sera le gagnant de la course ? Lors de sa déclaration à Toulouse le 11 décembre, Emmanuel Macron a clairement exprimé son ambition : « Nous allons nous battre, nous serons les meilleurs et nous rassemblerons autour de nous », a affirmé le président de la République. Le plan France 2030 prévoit une aide publique de 200 millions d'euros pour les petites entreprises de lancement, avec pour objectif d'avoir une première fusée opérationnelle en 2026. Cependant, ce sont les start-up allemandes qui ont pris de l'avance : Isar Aerospace et RFA visent tous deux des vols inauguraux dès le début de l'année 2024.

Progresser rapidement dans le rythme

Selon François Chopard, fondateur et directeur de l'incubateur de start-up dans le domaine aérospatial et de la défense, Starburst Accelerator, les autres acteurs ont probablement deux ou trois ans de retard. Les Français font un excellent travail, mais avec des ressources limitées. Ils devront lever entre 20 et 50 millions d'euros dans les mois à venir pour vraiment prendre leur envol.

MaiaSpace se distingue des autres entreprises. Elle bénéficie du soutien de sa maison mère ArianeGroup, qui lui fournira le moteur Prometheus, à la fois peu coûteux et réutilisable. Le PDG de MaiaSpace, Yohann Leroy, affirme que l'expérience d'un leader du secteur spatial est un avantage qui leur permet d'éviter les erreurs commises par leurs concurrents. Cependant, leur façon de travailler diffère des processus traditionnels : afin de développer un lanceur en seulement quatre ans, ils doivent prendre des risques, produire rapidement les équipements et les tester. Leur premier prototype de second étage, appelé Quasimodo, a été conçu en quelques mois seulement. En deux ans d'existence, MaiaSpace a dépassé les 100 employés et devrait doubler son effectif dans les dix-huit prochains mois. Leur objectif est d'effectuer leur premier vol d'ici la fin de l'année 2025.

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Cependant, les acteurs de l'industrie spatiale européenne sont conscients qu'ils devront se battre pour se faire une place face à une entreprise puissante comme SpaceX, capable de lancer de nombreux petits satellites en une seule mission (appelée "rideshare"). Selon Maxime Puteaux, analyste chez Euroconsult, il leur sera difficile de rivaliser sur le prix, qui sera inévitablement plus élevé que celui des lancements en rideshare. Cependant, en proposant des lancements dédiés, ils pourront offrir une plus grande réactivité aux clients qui souhaitent exploiter rapidement leurs satellites.

Le défi consiste non seulement à réussir les premiers lancements des petits lanceurs, mais également à augmenter rapidement le rythme. Stefan Tweraser, directeur général de RFA, explique que leur objectif est d'effectuer un lancement tous les deux ou trois mois à court terme, puis un lancement par semaine d'ici 2030. Pour atteindre cet objectif, ils prévoient d'utiliser plusieurs sites de lancement : SaxaVord en Ecosse et Kourou. Ils sont également en discussions avancées avec d'autres sites en Australie et en Europe.

Le modèle économique de Latitude, une entreprise française, est complexe. Ils visent à effectuer environ cinquante lancements par an, à une vitesse constante. Stanislas Maximin, âgé de 24 ans et PDG de la start-up, affirme que leur objectif est de mettre en orbite une constellation de 20 à 40 satellites en quelques mois seulement, ce qui prendrait plusieurs années avec des lanceurs plus volumineux.

La question qui reste à résoudre est de savoir combien d'acteurs européens seront en mesure de survivre. Bien que le marché des petits satellites puisse sembler gigantesque à première vue, il est en réalité plus limité que ce que l'on pourrait penser. Parmi les 26 000 satellites à lancer, les deux tiers appartiennent aux mégaconstellations Starlink de SpaceX et à celles de Guowang (le projet chinois), qui lanceront eux-mêmes leurs propres engins. De plus, les micro et mini-lanceurs ne seront pas monopolisés.

Selon Maxime Puteaux, un consultant chez Euroconsult, une grande partie du marché des lancements de satellites se dirigera vers des services de covoiturage sur les fusées Falcon 9, Ariane 6 ou Vega-C. Au cours des dix prochaines années, on estime que le marché des petits lanceurs européens atteindra environ 5 000 satellites, ce qui ne sera pas suffisant pour soutenir tous les projets. Si deux ou trois acteurs parviennent à survivre, ce sera le maximum.

Le modèle économique semble être complexe. Même les entreprises américaines, qui étaient en avance et qui bénéficiaient d'un soutien considérable de la part des clients gouvernementaux tels que la Nasa et le Pentagone, rencontrent des difficultés. Par exemple, Virgin Orbit, qui utilisait un Boeing 747 pour lancer ses fusées, a fait faillite en mai et a vendu ses actifs au plus offrant.

Le prochain modèle d'Ariane 6

Astra Space, qui est devenue une entreprise cotée en bourse avec une valorisation de 2,1 milliards de dollars en 2021, ne vaut maintenant plus que 30 millions de dollars. En raison de nombreux échecs, cette start-up rencontre de graves problèmes financiers. Quant au leader du marché, Rocket Lab, qui lance sa fusée Electron depuis la Nouvelle-Zélande, il effectue environ dix lancements par an… mais n'a toujours pas réussi à être rentable.

Afin d'atteindre le point mort tant convoité, de nombreux acteurs de l'industrie spatiale cherchent à améliorer leurs fusées en optant pour des modèles plus grands et plus rentables. Rocket Lab, qui utilise actuellement le lanceur Electron avec une capacité de charge utile de 300 kg en orbite basse, travaille sur le développement d'une fusée beaucoup plus puissante, appelée Neutron, capable de transporter jusqu'à 13 tonnes.

C'est la même situation chez la société californienne Relativity Space. Après l'échec de son premier vol en mars dernier, ils ont abandonné leur lanceur Terran 1 pour se tourner vers le Terran R, qui est similaire au Falcon 9 de SpaceX. Les entreprises européennes pourraient rapidement suivre l'exemple de leurs concurrents américains.

Est-ce que l'Europe va enfin réussir à se positionner dans le domaine des lanceurs et de l'exploration spatiale ?

Selon Maxime Puteaux d'Euroconsult, les micro et mini-lanceurs ne sont probablement que les premières étapes vers des fusées plus puissantes. De nombreux acteurs européens ont pour objectif à long terme de participer à la conception du successeur d'Ariane 6, dans un contexte où les lanceurs seront en compétition plutôt que développés grâce à des fonds publics. Ainsi, la concurrence actuelle sur les petits lanceurs pourrait n'être qu'un avant-goût de la future bataille pour Ariane 7.

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