Défis de l'entreprise
Jeux Olympiques 2024 : Les grandes entreprises de construction doivent faire face à un problème avec les travailleurs sans papiers qui les encombrent. Cela a été écrit par Pauline Damour le 16 octobre 2023 à 14h00. Temps de lecture estimé à 5 minutes. Cet article est réservé aux abonnés.
Des anciens employés qui n'avaient pas de papiers lors des constructions pour les Jeux Olympiques de 2024 ont poursuivi en justice de grandes entreprises du secteur du BTP devant les prud'hommes de Bobigny. Ces pratiques jettent une ombre sur le symbole des Jeux Olympiques.
Des anciens employés sans autorisation de travail des chantiers des Jeux Olympiques de 2024 ont porté plainte contre de grandes entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics devant le conseil des prud’hommes de Bobigny.
Gaye Sarambounou, un homme timide avec une barbiche et un visage rond, sort plusieurs cartes professionnelles du secteur du bâtiment et des travaux publics de son portefeuille. Bien que les cartes portent des noms différents, elles comportent toutes sa photo. Il explique que c'est ainsi qu'il peut accéder et travailler sur les chantiers. Le patron lui remet ces cartes sans vérifier ses documents, ce qui lui permet de prendre celles d'une autre personne. Gaye Sarambounou, un Malien de 43 ans, est arrivé en France il y a six ans dans un bateau de fortune en passant par le Maroc et l'Espagne, tout comme de nombreux autres de ses compatriotes clandestins.
En tant qu'ouvrier polyvalent, il a travaillé sur différents chantiers tels que Val d'Europe, Melun et Puteaux. L'année dernière, il a passé trois mois à travailler sur le futur centre aquatique olympique de Marville, situé entre Saint-Denis et la Courneuve, qui sera utilisé par les équipes de water-polo pour s'entraîner.
Travailler huit à dix heures pour gagner 80 euros
Recevant une rémunération de 80 euros pour huit à dix heures de travail, parfois en espèces, sans bénéficier de congés payés ni d'heures supplémentaires, il partage son expérience : "Le travail est toujours difficile. Parfois, tu dois rester tard pour faire le nettoyage et quand il y a une inspection, tu dois te cacher ou ne pas venir travailler, sans être rémunéré. C'est la même chose lorsque tu es blessé ou malade." Suite à un contrôle de l'inspection du travail en octobre de l'année dernière, Gaye a été licencié sans recevoir d'indemnités.
L'ami de Moussa, dont il préfère garder l'anonymat, a vécu une situation similaire sur le chantier de la Tour Pleyel, qui sera transformée en hôtel de luxe pour les Jeux Olympiques de 2024. "Lorsque tu n'as pas de papiers, tu dois faire tout ce qu'on te demande : nettoyage, rangement, utilisation du marteau-piqueur, travaux de maçonnerie, et bien d'autres tâches encore… Sinon, tu dois partir et quelqu'un d'autre prendra ta place", raconte ce Congolais âgé de 40 ans qui a travaillé sur ce site à Saint-Denis pendant sept mois.
Le jeudi 12 octobre, Gaye et Moussa se sont rendus au tribunal des prud'hommes de Bobigny (Seine-Saint-Denis) où une dizaine de travailleurs récemment régularisés poursuivent en justice trois grandes entreprises de construction responsables des chantiers des Jeux Olympiques : GCC, Spie Batignolles Eiffage, ainsi que huit sous-traitants. Leur objectif est de faire reconnaître l'absence de contrat de travail, de fiches de paie et d'indemnités de licenciement injustifiées. Richard Bloch, leur représentant syndical CGT, explique : "Nous n'avons reçu aucune réponse à nos convocations, donc l'audience de conciliation a été reportée au 6 décembre. Nous y arriverons, mais cela prendra du temps", craint le syndicaliste, qui redoute que la procédure soit repoussée après les Jeux olympiques. Le syndicat prévoit maintenant de déposer une plainte avec constitution de partie civile dans le cadre de l'enquête pénale déjà ouverte sur cette affaire.
Une multitude de sous-traitants est impliquée dans cette affaire, ce qui pose problème alors que les Jeux Olympiques sont censés être une vitrine internationale pour les grandes entreprises de promotion immobilière et de construction. Selon la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), qui est responsable de superviser la réalisation et la livraison des soixante ouvrages et projets d'aménagement nécessaires à l'organisation des JO, ces derniers sont considérés comme "l'incarnation de l'urbanisme du XXIe siècle". Il est difficile de dire combien de personnes travaillent dans une situation irrégulière, étant donné le grand nombre de sociétés de sous-traitance et d'intérim qui fournissent une main-d'œuvre bon marché, que les donneurs d'ordre ont généralement tendance à ignorer. Ils sont pressés de terminer ces chantiers exceptionnels dans les délais impartis. L'ensemble du dispositif Paris 2024 doit être achevé au plus tard le 31 décembre 2023.
En mars, un contrôle effectué par l'Inspection du travail, suite à un signalement de la CGT, a révélé que des travailleurs en situation irrégulière étaient employés sur les chantiers du village des athlètes par un sous-traitant de GCC. Le géant du BTP a immédiatement mis fin au contrat. Le parquet de Bobigny a ouvert une enquête préliminaire pour "travail dissimulé, emploi d'étranger sans titre en bande organisée". Jean-Albert Guidou, membre de la CGT de Seine-Saint-Denis, qui aide les travailleurs sans papiers à régulariser leur situation, décrit un ensemble de sociétés dirigées par des ressortissants turcs ou français d'origine turque, venus de la même région. Lorsque le contrat de sous-traitance est confié à une seule entreprise, les ouvriers non déclarés sont payés par plusieurs autres sociétés qui se mettent en liquidation dès qu'elles sont inquiétées, ce qui complique les poursuites judiciaires, déplore le syndicaliste.
839 vérifications de chantiers en interne
Selon Antoine du Souich, responsable de la stratégie et de l'innovation à la Solideo, il y a plus de 2 000 entreprises impliquées dans les projets olympiques, avec près de 30 000 personnes ayant travaillé sur les chantiers depuis le début des travaux. La grande majorité de ces entreprises respecte les règles et se conforme à la loi. Les quatre ou cinq entreprises qui ont été sanctionnées pour avoir enfreint la loi ont vu leurs contrôles renforcés. Spie Batignolles partage le même point de vue en affirmant qu'elle prend de nombreuses mesures pour s'assurer que tous les employés présents sur ses chantiers sont en règle.
Selon la CGT, environ 150 ouvriers en situation irrégulière ont été identifiés sur les chantiers des JO. La Solideo, quant à elle, affirme en avoir contrôlé 839 à ce jour, dont moins d'une centaine étaient en situation irrégulière. Ce nombre est considéré comme exceptionnel dans ce secteur, où les syndicats dénoncent régulièrement le manque d'inspecteurs du travail. En 2019, une unité régionale d'appui et de contrôle des chantiers des JO (URACGS) a été créée, mais elle ne compte que 8 agents pour effectuer les vérifications des sites.
Bernard Thibault commente l'hypocrisie des autorités politiques qui ignorent l'existence de certains travailleurs. Selon lui, il est évident qu'il y en a d'autres qui sont dans la même situation. En tant que coprésident du Comité de suivi de la charte sociale de Paris 2024 et ancien secrétaire général de la CGT, il fait campagne pour la régularisation des travailleurs sans papiers dans les secteurs en difficulté. Gaye et Moussa ont déjà été régularisés, mais ce n'est pas le cas pour tous les autres travailleurs sans papiers.
Département de la Seine-Saint-Denis, événement des Jeux Olympiques, organisé à Paris en 2024.
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