Audrey Derveloy, patronne imperturbable de Sanofi France: naviguer entre les crises de la Big Pharma

Défis dans le monde des affaires

Manque de médicaments, scandale du Doliprane… Audrey Derveloy, la dirigeante calme de Sanofi France, gère avec assurance les situations de crise.

PORTRAIT – Manquant de médicaments, faisant des négociations avec le gouvernement, et impliquée dans l'affaire Doliprane, cette médecin de profession qui dirige Sanofi France, fait face à des crises successives. Malgré tout, elle reste calme et discrète.

Photo d'Audrey Derveloy prise au siège mondial de Sanofi à Paris, photographiée par Bruno Levy pour le magazine Challenges.

Sous une fine pluie, Audrey Derveloy marche rapidement malgré ses hauts talons dans le quartier de l'Odéon à Paris. En tant que présidente de Sanofi France, elle gère 20 000 employés répartis sur 28 sites et tient à être ponctuelle. Ce soir du 8 février, elle est invitée à clôturer un événement organisé par la fondation Université Paris Cité. Même si elle n'a pas pu assister aux débats, elle est déterminée à ne pas arriver en retard. Son attitude déterminée contraste avec sa voix timide et sa poignée de main rapide. Sa présence semble décalée parmi les chercheurs et médecins discutant de la prévention des maladies dans ce bâtiment historique de la rue de l'Ecole-de-Médecine.

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Lorsqu'on lui demande pourquoi une représentante de la Big Pharma est présente ici, elle ne se laisse pas démonter. Elle affirme que, par principe, elle se sent toujours à sa place, malgré la réputation d'entreprise financière vorace que traîne encore un groupe comme Sanofi en France, pays de Pasteur et de Curie.

Sanofi, une entreprise pharmaceutique française, a été fondée en France. Une femme originaire de Picardie s'adresse à un groupe de scientifiques pour souligner l'importance des laboratoires dans les discussions sur la santé publique et la prévention, en particulier en raison de leur rôle dans la fabrication de vaccins contre la grippe et la méningite.

Agée de 46 ans, cette femme médecin déterminée n'hésite pas à aller sur les plateaux télévisés pour soutenir la grande entreprise de santé mondiale, dont elle a pris la direction en remplacement d'Olivier Bogillot en septembre 2022. Peu lui importe si elle est critiquée.

Le 19 avril 2023, Brigitte Macron s'est rendue à l'hôpital de Férolles-Attilly. En tant qu'ancienne interne de l'AP-HP, elle entretient toujours des liens étroits avec les professionnels de santé, que la Première dame soutient activement. Photo : Aymeric Figueiredo/Le Parisien/MaxPPP.

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Dès qu'elle a été nommée, la jeune dirigeante a été confrontée à la crise persistante des pénuries de médicaments, notamment celle du Doliprane qui a fait beaucoup parler. Pour cet expert de l'industrie, elle a été mise dans une situation difficile et a dû se débrouiller seule.

Toujours très élégante, Audrey Derveloy se démarque avec ses tenues en cuir, que ce soit des jupes ou des pantalons. Elle attire l'attention dans le milieu de l'industrie pharmaceutique, majoritairement masculin et parfois condescendant, mais elle s'y déplace avec aisance selon ses collègues. Son rôle est complexe : bien qu'elle soit responsable de la France, ses actions sont guidées par Paul Hudson, le directeur général britannique du groupe.

Le 9 septembre 2022, j'ai rencontré Paul Hudson, le PDG du groupe, à Vitry-sur-Seine. Il m'a donné ses directives de manière très dynamique, bien que parfois difficiles à suivre. Photo créditée à BENOIT RAJAU.

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En 2020, ce PDG charismatique avait provoqué la colère des Français en suggérant que les Etats-Unis pourraient avoir la priorité pour accéder au vaccin contre le Covid. Même si la France ne représente que 5 % du chiffre d'affaires total, elle reste le lieu d'origine de l'entreprise.

Spécialisée dans le domaine de la biologie médicale, Audrey est fortement impliquée dans la production mondiale en France, ce qui la place en position de leader pour discuter avec les autorités sur des sujets importants tels que la réglementation et les prix des médicaments. Sous la présidence de Frédéric Oudéa, ancien PDG de la Société générale et actuel président du conseil d'administration de Sanofi, la jeune femme se retrouve souvent dans des situations délicates, devant parfois faire face à des critiques au nom du groupe. Cette mission s'avère donc être à la fois technique et politique, demandant une grande capacité d'adaptation.

Audrey Derveloy a été convoquée deux fois par la commission d'enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments en avril et juin 2023. Elle a dû expliquer les pertes d'emplois causées par la réorganisation des sites de Sisteron et Aramon dans le Sud-Est. Laurence Cohen, ancienne sénatrice, estime qu'elle est restée très prudente voire vague sur la stratégie du groupe. Cela a semé le doute parmi les syndicalistes. Fabien Mallet, de la CGT, critique le fait qu'elle soit envoyée au front sans réel contrôle sur les décisions. Il garde un mauvais souvenir du projet de scission du pôle de santé grand public du groupe, fabricant du Doliprane.

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Le 27 octobre, Paul Hudson a annoncé que l'entreprise investirait 20 millions d'euros à Lisieux pour augmenter la production de leur principal produit, le paracétamol. Cette annonce a mis la dirigeante, Audrey Derveloy, dans une situation difficile aux yeux des employés, seulement quinze jours après qu'elle ait révélé l'investissement.

Le 20 octobre 2023, à l'usine de fabrication du Doliprane à Lisieux (Calvados), Sanofi a investi 20 millions d'euros l'année dernière. Cette décision a suscité une controverse, les syndicats craignant maintenant que l'usine normande de paracétamol ne soit cédée. Photo: ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

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Cependant, cela ne semble pas perturber cette athlète disciplinée qui garde son calme en toute circonstance. Son collègue Charles Wolf, directeur général des vaccins chez Sanofi France, admire son sang-froid dans des situations potentiellement stressantes, attribuant cette qualité à ses études de médecine. Ayant été confrontée à des situations difficiles dès son plus jeune âge, où la vie des patients était en jeu, elle affirme que cela lui a appris à relativiser. Diplômée de la faculté de médecine Cochin-Paris Ve, avec une spécialisation en biologie médicale, elle a acquis cette capacité à gérer le stress grâce à son parcours académique.

Son ambition et son audace ont été les moteurs de son parcours. Malgré son image de "bonne élève" et de "curieuse de tout", rien ne la prédestinait à devenir médecin. Pendant son adolescence à Saint-Quentin, dans l'Aisne, elle s'est pourtant passionnée très tôt pour la science. Son frère, l'industriel Alexis Duval, la décrit comme étant très factuelle, méthodique et ne laissant rien au hasard. Il est probable qu'elle ait été inspirée par sa mère, professeure de biologie, qui a élevé des triplés.

Du côté de son père, elle a hérité de l'esprit d'entrepreneuriat. Les Duval, une famille de l'industrie sucrière en Picardie, ont développé la coopérative d'Origny-Sainte-Benoite pour en faire un géant : Tereos, un des principaux groupes sucriers mondiaux. Même si Audrey Derveloy n'était pas destinée à prendre la direction de l'entreprise, celle-ci étant transmise à son frère, elle a été imprégnée des valeurs du leadership dès son enfance. Elle se souvient que son père les emmenait chaque dimanche faire le tour de l'usine pour saluer les ouvriers, en compagnie de sa grande sœur, Marie-Noëlle, et de ses jumeaux, Fanny et Alexis.

Son frère résume sa carrière en disant qu'elle combine les métiers de ses parents, comme si c'était sa vocation. Le docteur Thomas Drevillon, son ancien camarade de faculté, n'est pas étonné qu'elle ait obtenu un poste à haute responsabilité avant l'âge de 45 ans. Il la décrit comme une personne très travailleuse, efficace et capable de gérer les responsabilités qui lui incombent.

Malgré son apparence délicate, Audrey Derveloy est une personne déterminée et audacieuse, comme l'a décrit le professeur José-Alain Sahel, un expert en ophtalmologie. Elle avait depuis longtemps Sanofi comme objectif. Ainsi, au printemps 2022, lorsqu'elle a croisé Paul Hudson par hasard dans la rue à Paris, elle n'a pas hésité : « Nous nous sommes salués, il était au téléphone et je n'ai pas pu lui parler, donc je lui ai envoyé un SMS juste après pour reprendre contact. »

Le vaccin Beyfortus est dirigé par une femme qui a été nommée à la tête de Novartis Irlande en janvier 2020. Elle était déprimée à Dublin pendant le confinement, car ses enfants étaient en cours à distance sans pouvoir se faire d'amis et son mari était en France. Malgré tout, elle devait diriger 200 personnes en visioconférence depuis chez elle.

En avril 2022, elle était à Dublin en compagnie d'un dirigeant d'une entreprise médicale et du Premier ministre irlandais, Leo Varadkar. Elle a été remarquée par Luc Beaulieu, un Canadien devenu son mentor, et a rapidement progressé dans sa carrière. Crédit: PA Photos/ABACA

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Après avoir rencontré Paul Hudson il y a quelques semaines, elle accepte immédiatement sa proposition de la rejoindre chez Sanofi. L'ancien PDG de Novartis l'avait déjà remarquée lorsqu'elle travaillait au siège français du groupe suisse. Il la décrit maintenant comme la meilleure employée de la filiale française, impressionné par sa rapide progression.

Sanofi, Eli Lilly et Novo Nordisk, trois grandes entreprises pharmaceutiques, ont décidé de réduire les prix de l'insuline aux États-Unis suite à une pression croissante.

La jeune dirigeante attribue une grande partie de son succès à son mentor, Luc Beaulieu, un Canadien décédé, qui l'a promue chez Novartis malgré son manque d'expérience à l'époque.

Maintenant à la tête de Sanofi France, Audrey Derveloy prend en charge des responsabilités d'une plus grande envergure. Son concurrent Eric Ducournau, président du groupe Pierre Fabre, loue sa capacité à gérer rapidement des dossiers délicats. Sanofi France, déjà sous la surveillance des autorités publiques lors de la pandémie de Covid, se retrouve une nouvelle fois sous les projecteurs cet hiver en raison de l'épidémie de bronchiolite chez les nourrissons, lors du lancement du vaccin Beyfortus, développé en collaboration avec AstraZeneca.

Le 4 octobre 2023, lors de l'interview d'Apolline de Malherbe à Paris, une dirigeante discrète mais déterminée défend régulièrement Sanofi à la télévision. Crédit: Apaydin Alain/ABACA

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Les 200 000 doses demandées par l'Etat se sont rapidement épuisées, provoquant de l'inquiétude dans les hôpitaux et les pharmacies. Aurélien Rousseau, ancien ministre de la Santé, admet avoir exercé une pression pour obtenir des doses supplémentaires, ce qui a conduit à la distribution de 50 000 doses supplémentaires en France après son intervention auprès des responsables de son groupe.

Sanofi se prépare pour l'avenir

On ne sait pas si les demandes des politiques affectent cette dirigeante calme. Pour faire face à la pression, cette passionnée de la mer se rend à Noirmoutier, en Vendée, dès que son emploi du temps chargé le lui permet, pour se ressourcer. C'est là qu'elle retrouve sa famille et ses amis les plus proches, loin de l'agitation des réseaux parisiens dont elle préfère se tenir à distance. "Ne suivez pas mon exemple et entretenez votre réseau de contacts", conseille-t-elle aux étudiants, malgré son poste et ses origines familiales.

La récente visite d'Emmanuel Macron à Chartres le 23 novembre pour célébrer l'investissement de 2,1 milliards d'euros de Novo Nordisk, un concurrent danois, a peut-être agacé la directrice générale, mais elle reste discrète à ce sujet. En interne, on qualifie pourtant cet événement de "hallucinant". Malgré cela, la directrice générale reste ferme et essaie de trouver une explication. Elle note que la priorité du gouvernement est d'attirer les investisseurs étrangers, alors que leur entreprise est déjà présente sur place.

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Sanofi, qui est un sponsor des Jeux Olympiques de Paris 2024, se prépare pour cet événement. Le groupe aura l'honneur d'accueillir la flamme olympique dans trois de ses sites, dont celui de Neuville-sur-Saône (Rhône), où sa nouvelle usine de vaccins à ARN messager devrait être opérationnelle cet été. Il est possible que le président de la République se rende sur place cette fois-ci.

Écrit par Isabelle de Foucaud

Sanofi est une entreprise pharmaceutique.

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