Obstacles Compagnie
Après les conflits familiaux, le groupe entre dans une nouvelle ère sous la direction d'Alexandre Barrière, qui se concentrera sur les hôtels et les casinos.
Convaincu de protéger les souhaits de sa mère et de garantir le futur de l'empire Barrière, le jeune héritier a forcé Dominique Desseigne à quitter son poste. Âgé de 36 ans, il aspire à faire entrer le groupe hôtelier et de casinos dans une ère nouvelle. Voici notre entrevue.
Le 14 septembre, une photo a été prise d'Alexandre Barrière dans les bureaux du siège du groupe Barrière, situé rue d'Artois à Paris.
La conversation est brusquement interrompue par un bruit assourdissant. Les verres en cristal contenant de l'eau minérale tremblent. Tout le monde se fige. Alexandre Barrière reste impassible et explique que c'est la Patrouille de France qui passe au-dessus de leurs têtes pour saluer le roi d'Angleterre en visite à Paris. Cette scène se déroule dans le salon du Fouquet's, situé sur l'avenue des Champs-Elysées, où Alexandre Barrière reçoit Challenges pour sa première prise de parole en tant que président du groupe Barrière. Il est difficile de ne pas y voir un signe, surtout lorsque l'on sait qu'Alexandre Barrière était en train de parler de sa mère, Diane Barrière, qui a été victime d'un tragique accident d'avion en 1995 et a été lourdement handicapée jusqu'à sa mort en 2001.
Dans les années 1990, Lucien Barrière était accompagné de sa mère, Diane Barrière. Cependant, leur bonheur fut de courte durée. En effet, Diane, qui était à la fois la fille adoptive et l'héritière de Lucien Barrière, décède en 2001 à l'âge de 44 ans. Cette triste nouvelle survient six ans après l'accident d'avion qui avait laissé Diane gravement handicapée. Une photo de Diane est présentée dans la collection personnelle de Lucien Barrière.
"J'ai la responsabilité, avec ma sœur Joy, de faire progresser ce groupe en respectant les valeurs que notre mère nous a transmises et en honneur à la promesse que je lui ai faite", déclare-t-il. Les termes "responsabilité" et "engagement" donnent à cet homme de 36 ans, vêtu entièrement en gris, une apparence triste d'un orphelin inconsolable. La seule touche de fantaisie apparente est sa pratique du jeûne intermittent et des bains revigorants dans les lacs gelés de Scandinavie. Il porte également une bague connectée à chaque doigt, un bracelet électronique à son poignet droit et une Apple Watch à son poignet gauche : des gadgets high-tech qui lui permettent de contrôler sa température, son pouls et d'autres données métaboliques, tout comme le font les athlètes de haut niveau.
La famille Barrière a acquis le contrôle total du groupe après le retrait de Fimalac. Cette entreprise possède des établissements tels que le Fouquet's, des casinos et des hôtels.
Un conflit familial psychologique en héritage
La mention de sa mère, de son grand-père Lucien Barrière et de sa grand-mère Martha renforce l'impression de fin de journée: "J'ai grandi dans une famille privilégiée, j'ai une responsabilité envers ce groupe et mes 7 000 collègues", confie-t-il. Le groupe Barrière, toujours détenu par sa famille depuis sa création en 1912, est aujourd'hui le leader français des casinos avec 33 établissements et 19 grands hôtels de luxe, ainsi que leurs restaurants, spas, golfs, etc. Il a terminé l'exercice 2023 avec un chiffre d'affaires de 1,3 milliard d'euros, bien au-delà des prévisions, et des marges dans ses casinos qui font rêver tous les chefs d'entreprise, soit 37%. Grâce à la reprise du marché des jeux d'argent, de belles perspectives se profilent. "Je suis déterminé et serein, très heureux d'avoir rassemblé la meilleure équipe possible pour développer l'entreprise", déclare-t-il. En revanche, pas un mot sur son père, Dominique Desseigne, âgé de 79 ans, qui est bien vivant et probablement en train de siroter tranquillement un Perrier-rondelle à quelques mètres de là, à sa table préférée du Fouquet's.
Ces derniers mois, la transition de pouvoir a été un véritable drame psychologique. Alexandre, accompagné de sa sœur Joy, âgée de 32 ans, a finalement réussi à convaincre leur père de prendre sa retraite, malgré les hésitations initiales de Joy à se mêler de cette querelle. Cette affaire a fait les gros titres et a passionné bien au-delà des employés du groupe, car les événements et les personnes impliquées semblaient être directement tirés d'un scénario de la série américaine "Succession". "Alexandre est convaincu que le testament, par lequel sa mère Diane, héritière de l'empire Barrière, avait légué à son mari l'usufruit des actions de l'entreprise, n'est pas valable. Il en va de même pour la modification de son contrat de mariage, qui a été transformé en communauté universelle quelques mois avant son décès, car elle n'était pas en état de prendre une telle décision", explique un ami. Ces dispositions sont essentielles car elles ont permis à l'ancien notaire Dominique Desseigne de diriger seul l'entreprise de sa femme et de percevoir les dividendes pendant plus de vingt ans (soit plus de 70 millions d'euros), tandis que ses deux enfants n'avaient que la nue-propriété et donc aucun droit aux revenus auxquels ils auraient pu prétendre à leur majorité.
En 2018, Dominique Desseigne, accompagné de sa compagne Alexandra Cardinale, a assumé la responsabilité du groupe Barrière, dont il détient l'usufruit des actions depuis le décès de sa femme. Il dirigera seul le groupe et recevra les dividendes associés pendant une période de vingt ans. Une photo de l'événement a été prise par Jérôme Domine/Abaca.
En juin 2022, le fils prend la décision d'engager une action en justice contre son père. À l'époque, son père occupe le poste de directeur général chargé de l'hôtellerie puis de la stratégie, et il siège au conseil d'administration. Le fils conteste les choix de son père en tant que "Papa Directeur Général". En juillet 2022, un conseil d'administration crucial a lieu à La Baule. Selon un témoin, le fils a été très persuasif en soulignant les lacunes en matière d'internationalisation et de transformation numérique. Son père a tenté de le mettre en difficulté, mais sans succès. La plupart des administrateurs espéraient que le fils s'impose.
Après une tentative de médiation, Alexandre décide finalement d'abdiquer. Convaincu de défendre les souhaits de sa mère ainsi que l'avenir de l'entreprise, il mène une véritable bataille. Cependant, contrairement à son père qui est souriant et rayonnant, Alexandre est décrit comme étant "très intelligent mais souvent tendu, ayant du mal à s'ouvrir et portant le poids de souvenirs qui rendent sa communication parfois difficile", selon un ancien cadre. Son geste, hautement symbolique et violent, consiste à prendre le nom de sa mère et à abandonner celui de son père. Ce changement est officiellement enregistré à l'état civil en janvier 2023. Freud aurait pu consacrer deux chapitres intéressants à cette situation. Alexandre Barrière refuse d'en parler en déclarant que cela relève de sa vie privée.
En juillet 2022, la justice propose une résolution amiable sous la direction de l'ancien président de la cour d'appel de Paris, Jean-Claude Magendie. Trois cabinets d'avocats travaillent sur un document de référence. C'était nécessaire! Les employés, qui observent la famille Desseigne séjourner dans des hôtels de Deauville, Cannes et au Fouquet's à Paris, sont conscients que le père et le fils ne se parlent plus. De plus, Dominique Desseigne doit ralentir son rythme et informe ses collaborateurs proches qu'il souffre de la maladie de Parkinson, bien que les symptômes soient discrets. "Il a toujours affirmé qu'il souhaitait céder sa place à ses enfants", témoigne une ancienne collègue. "Mais il ajoutait également : 'Le plus tard possible !' Le patriarche traverse une véritable année difficile, affaibli et renié par ses enfants.
En octobre 2022, le magazine Challenges annonce que la succession a enfin été officialisée. Dominique Desseigne renonce à son poste et devient président d'honneur, tout en obtenant un siège au conseil d'administration. Alexandre retire ses accusations et prend la présidence du Groupe Lucien Barrière ainsi que de la Société de participation deauvillaise (SPD), qui est la holding familiale. Joy, la plus jeune de la famille, est nommée présidente de la Société fermière du casino de Cannes, une entreprise cotée en Bourse et contrôlée par la famille. Cette société possède Le Majestic, Le Gray d'Albion, le casino cannois et Le Carl Gustaf Saint-Barth. De plus, Joy devient également directrice générale de la SPD.
Plusieurs médiateurs non officiels, tels que l'ancien président Nicolas Sarkozy, qui est proche de Dominique Desseigne, Marc Ladreit de Lacharrière, actionnaire majoritaire du groupe Barrière avec une participation de 40%, et David Layani, fondateur et président de Onepoint, une entreprise spécialisée dans la transformation numérique des entreprises, ont contribué à sceller l'armistice. "Je considère David comme un modèle pour moi", déclare Alexandre Barrière. "Il m'a apporté une aide précieuse et désintéressée." En tant que négociateur habile, David Layani a réussi à calmer le tempérament bouillonnant d'Alexandre, qui était agité depuis plusieurs années.
En 2021, à Monaco, David Layani était présent avec Alexandre. En tant que négociateur talentueux et considéré comme "son grand frère" par Alexandre, le chef de Onepoint a réussi à calmer le tempérament irritable et impatient de l'héritier. La photo a été prise dans la collection personnelle.
Alexandre Barrière est né à Paris le 25 février 1987. Il a obtenu son diplôme de l'Université américaine de Paris en 2009, puis a poursuivi ses études en obtenant un MBA à l'Essec en 2012. En 2018, il a été nommé directeur de la transformation de Lucien Barrière, et en 2023, il est devenu le président du groupe Barrière.
Lorsqu'Alexandre et Joy prennent les rênes de l'entreprise, ils décident de prendre les choses en main de manière radicale. Ils nomment Grégory Rabuel, ancien PDG d'Altice France et de SFR, comme nouveau directeur général, et forment un nouveau comité de direction. Ils rachètent également les 40% de parts détenues par Marc Ladreit de Lacharrière pour 350 millions d'euros, en empruntant cette somme à un groupe de banques comprenant le Crédit Agricole, la Société Générale et BNP Paribas. Lors de la réunion du conseil qui officialise cette transaction, Ladreit plaisante en remerciant Dominique pour sa gestion excellente qui lui a permis de doubler son investissement en douze ans. En effet, il avait initialement investi 175 millions pour acquérir ces 40% de parts en 2011. Même s'il espérait réaliser une plus-value encore plus importante, il est soulagé de pouvoir se retirer en ayant contribué à préserver l'indépendance de l'entreprise, qui suscite de nombreuses convoitises. Alexandre Barrière révèle que des offres de rachat, pour tout ou partie du groupe, lui parviennent constamment. Cependant, il est catégorique: il n'est pas question de vendre, mais plutôt de continuer à se développer.
En février 2023, Alexandre Barrière se retrouve en compagnie de l'acteur américain Brad Pitt et du célèbre chef étoilé Pierre Gagnaire. À présent, il est le décideur principal de l'empire et doit reconstruire son cercle d'alliés et de personnes loyales. Capture d'écran: Emmanuel-DalFabbro.com
Contrairement à la plupart des autres groupes hôteliers, Barrière possède les bâtiments de ses établissements. Cette richesse a permis de convaincre les banques, en plus des revenus provenant des casinos. Cependant, un expert du groupe s'inquiète du fait qu'Alexandre s'endette fortement à un moment où les taux d'intérêt sont très élevés. Alexandre et sa sœur sont les seuls décisionnaires, mais ils ont une capacité d'investissement limitée. En raison de leur vaste portefeuille immobilier, le groupe est constamment obligé de réaliser des travaux de rénovation très coûteux, avec des millions d'euros dépensés chaque année uniquement pour la peinture et la plomberie. Les bénéfices générés par les casinos financent l'activité hôtelière, qui est moins rentable, mais les jeux d'argent vont également nécessiter d'importants investissements pour s'adapter à l'ère numérique et attirer une clientèle plus jeune. Avec leurs dettes considérables, les Barrière-Desseigne devront faire des choix importants.
Ayant conscience de cette préoccupation, partagée par certains employés, Alexandre Barrière apaise les inquiétudes en affirmant que le niveau d'endettement de l'entreprise est raisonnable, correspondant à moins de trois fois l'Ebitda. Il promet une stratégie ambitieuse et des investissements importants, souhaitant ainsi rompre avec la gestion conservatrice de son père. De plus, il assure qu'il ne prendra pas de décisions seul. "Nous formons un véritable binôme et partageons toutes nos décisions", confirme sa sœur Joy, qui se réjouit d'entamer ce nouveau chapitre avec son frère aîné. En tant qu'experte en bases de données, ayant travaillé chez Publicis à Londres et ayant une bonne connaissance de l'activité des casinos, elle refuse également de mentionner la crise de gouvernance qui vient de se terminer.
Le 1er septembre 2023, elle était présente au Festival du film américain de Deauville avec sa sœur Joy. Elle assure que leur duo est solide et déterminé. Photo: Loic Venance/AFP
Dominique Desseigne, le père de la famille, est connu pour son assiduité aux avant-premières parisiennes et pour son réseau de contacts impressionnant. Cependant, il quitte la scène comme un joueur qui n'a pas complètement perdu: "Je comprends que la jeune génération veuille prendre les rênes et c'était prévu. Mais je suis profondément blessé par la façon dont tout s'est déroulé."
Voici ce que différentes personnes disent à propos d'Alexandre Barrière :
– Marc Ladreit de Lacharrière, le président-fondateur du groupe Fimalac, décrit Alexandre Barrière comme étant un jeune homme dynamique et travailleur. Il a pour ambition d'internationaliser un groupe qu'il considère comme trop français et de devenir un leader dans le domaine des jeux en ligne, estimant que le groupe est en retard dans ce secteur.
– Michaël Da Costa, délégué syndical CGT Barrière, exprime de vives inquiétudes quant aux conséquences sociales potentielles de l'acquisition coûteuse de la totalité du capital par Alexandre Barrière. Il aura besoin du soutien des banques pour investir et pourrait être tenté de réduire les effectifs.
– David Layani, président-fondateur de Onepoint, souligne le caractère rigoureux et précis d'Alexandre Barrière, des qualités qu'il rencontre rarement. Il est impressionné par sa vision et ses idées brillantes.
– Roger Bastoni, un "Clé d'Or" historique de l'hôtel Le Majestic, connaît Alexandre Barrière depuis qu'il est enfant. Il estime qu'il est resté fidèle, attentionné et humble, prenant le temps de prendre un café avec lui lorsqu'il vient à Cannes, malgré sa retraite.
– Benjamin Patou, PDG de Moma Group, affirme qu'Alexandre Barrière allie audace et vision. Il a su créer une gouvernance qui profite à tous. Benjamin avait déjà remarqué ses qualités lorsque Barrière était actionnaire de Moma.
Le Groupe Lucien Barrière.
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