Le rachat de Casino à Saint-Étienne par Intermarché et Auchan suscite des craintes pour l’avenir de la ville

Problèmes Société Secteur de la grande consommation

Casino : l'acquisition du plus grand employeur à Saint-Etienne suscite des inquiétudes

Par Guillaume Echelard le 19.12.2023 à 06h45

Durée d'écoute : 12 minutes

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Article: La ville de Saint-Etienne, qui est déjà confrontée à des problèmes économiques et des affaires politiques controversées, est maintenant préoccupée par l'avenir de son principal employeur privé, Casino, qui prévoit de vendre ses supermarchés à Intermarché et Auchan. Les employés et les habitants de Saint-Etienne se mobilisent pour défendre leurs intérêts.

Lors d'une manifestation à Saint-Étienne le 17 décembre 2023, des personnes protestent en tenant des pancartes avec une image du PDG du groupe Casino, Jean-Charles Naouri, accompagnée du message "N'as-tu pas honte ?". Ils expriment ainsi leur préoccupation face à la détérioration de la situation économique du détaillant français.

Il est presque 10 heures ce dimanche 17 décembre devant le siège du groupe Casino à Saint-Etienne (Loire), et de plus en plus de manifestants se rassemblent pour soutenir les employés du groupe. Le bâtiment vitré impressionnant se trouve à quelques mètres de la gare et affiche fièrement l'inscription "Forts & Verts", en référence à la couleur emblématique de la ville. Le slogan, qui est un jeu de mots avec l'anglais "Forever" signifiant "pour toujours" en français, semble décalé. En ce mois de décembre 2023, l'avenir du groupe centenaire, qui est en procédure de sauvegarde, est très incertain.

Casino, confronté à une dette colossale de 6,4 milliards d'euros, s'apprête à être racheté par un groupe dirigé par l'entrepreneur tchèque Daniel Kretinsky et le milliardaire français Marc Ladreit de Lacharrière. Cependant, avant cela, l'actionnaire principal actuel, Jean-Charles Naouri, est en pourparlers exclusifs pour vendre la quasi-totalité de ses 320 supermarchés et hypermarchés à une alliance formée par Auchan et Intermarché, pour un montant de 1,35 milliard d'euros. Le PDG cherche à se défaire des principales sources de pertes de Casino.

Il y a une situation d'urgence : le groupe devrait dépenser 2 milliards d'euros en liquidités cette année, en raison de la performance médiocre de ses grandes surfaces. Les prix de ces grandes surfaces sont restés trop élevés pendant longtemps, même pendant la période d'inflation alimentaire, ce qui les rend jusqu'à 30 % plus chers que le leader du marché, Leclerc. Cette transaction réduira de moitié la valeur de la société mère de Monoprix et Franprix, qui représentera environ 3 % de parts de marché. Cela aura de graves conséquences sociales.

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Tout d'abord, les employés transférés d'une enseigne à une autre verront leurs conditions de travail changer. Par exemple, Hassina Hamida, âgée de 52 ans, témoigne de la cession de certains magasins Casino à Intermarché dans sa ville de Grenoble. La moitié des employés ont démissionné car les horaires et les salaires étaient complètement différents. De plus, les employés travaillant dans la logistique ne savent pas si leur emploi sera toujours nécessaire au sein d'un groupe plus restreint.

Quel sera l'avenir du siège historique de Casino ?

En particulier, le siège, qui compte près de 2 000 employés à Saint-Étienne, devra réduire sa taille après les ventes. Une employée affirme qu'il n'aura plus de raison d'exister. Denis Olivennes, représentant de Daniel Kretinsky en France, a déjà promis aux syndicats un éventuel soutien social, évoquant la possibilité d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

Cependant, Casino, qui est le principal employeur privé de la région de la Loire avec 4 000 à 5 000 emplois, joue un rôle essentiel dans l'économie de Saint-Étienne. Lionel Boucher, un élu d'opposition à la mairie, souligne qu'il existe un lien fort entre Casino et la ville. Ali Eloued, délégué syndical CGT et employé d'un magasin à Saint-Étienne, ajoute que plusieurs hôtels et entreprises locales dépendent du siège de Casino. La fermeture de ce lieu central dans un quartier d'affaires en plein essor pourrait entraîner une baisse de 30 % du chiffre d'affaires d'un restaurateur local. Lionel Boucher ajoute que la SNCF pourrait également remettre en question les liaisons directes en TGV entre Saint-Étienne et Paris si le siège de Casino fermait. Cela intervient après l'abandon du projet d'autoroute A45, qui aurait amélioré la connexion entre Saint-Étienne et Lyon.

Le nouveau casino est un autre coup dur pour Saint-Etienne, comme le disent les habitants de la ville lors de la manifestation. Saint-Etienne, qui a une longue histoire industrielle, a connu de nombreux problèmes au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Il y a eu la chute de l'industrie minière dans les années 1960, ainsi que la fermeture de Manufrance, une entreprise de vente par correspondance emblématique de la ville, en 1985, ce qui a entraîné la perte de 1 800 emplois.

Cette année, le campus de l'école de commerce EM Lyon (qui compte environ un millier d'étudiants) a finalement fermé ses portes, tout comme l'équipementier automobile Mécacentre (qui employait 178 personnes).

A Casino, on craint la suppression de 2 000 emplois et l'impact social qui en découlerait.

Selon le chercheur Vincent Béal de l'université Jean Monnet de Saint-Étienne, le cœur de la ville fait face à de graves difficultés. Depuis les années 1980, il a perdu une grande partie de sa classe moyenne. Les diplômés quittent la ville, tandis que les familles déménagent vers les banlieues plus riches. Ce qui reste dans le centre-ville, ce sont principalement des personnes âgées et pauvres. Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, la métropole de Saint-Étienne compte près de 400 000 habitants, ce qui est comparable à Grenoble. Cependant, le taux de pauvreté est presque six fois plus élevé, atteignant près de 20 % selon les données de l'Insee de 2020.

Après que les problèmes du groupe Casino ont été annoncés en 2023, les employés ont réagi et se sont rassemblés à Saint-Étienne, lieu de naissance de l'entreprise. La photo a été prise le 22 juin 2023. Source: AFP / JEFF PACHOUD.

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Le déménagement du siège de Casino, ainsi que de ses dirigeants, pourrait aggraver la situation de pauvreté et entraîner une augmentation du chômage, qui est déjà plus élevé que dans d'autres régions. Irène Breuil, présidente de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Saint-Etienne, exprime ses préoccupations quant à la baisse de 21 % des offres d'emploi entre le 1er juillet 2022 et le 30 juin 2023, tandis que les demandes d'emploi ont augmenté de 2,7 %.

Un défi économique et culturel

La directrice de l'entreprise Kodev, spécialisée dans le linge de bain, reste optimiste : "Il y a de nombreuses entreprises prometteuses dans la région, en particulier l'un des sites industriels de Safran". En novembre, Verney-Carron, filiale de Cybergun basée à Saint-Étienne et spécialisée dans la fabrication d'armes, a remporté un contrat de 38 millions de dollars pour fournir des armes de petit calibre à l'Ukraine. Elizabeth Ducottet, à la tête de Thuasne, une entreprise familiale spécialisée dans les dispositifs médicaux, reste fidèle à sa ville et ajoute : "Il est important de continuer à investir : il y a une excellente université, une faculté de médecine et l'école des Mines". Bien que située près de Lyon mais beaucoup moins chère, la quatorzième ville de France reste un territoire industriel avec de nombreux atouts.

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Cependant, le défi pour Casino ne se limite pas à l'aspect économique. Il a une dimension identitaire. De nombreux protestataires portent l'écharpe verte de l'Association sportive de Saint-Étienne (ASSE), l'équipe de football locale qui, elle aussi, fait face à de grandes difficultés (voir encadré). Casino et le football sont étroitement liés et constituent le socle de l'identité stéphanoise. C'est grâce à Casino que l'ASSE a été créée et le fondateur de l'enseigne, Geoffroy Guichard, a donné son nom au stade. Bon nombre de manifestants, de 5 à 85 ans, arborent le t-shirt distribué lors de la grande célébration des 125 ans de Casino qui a eu lieu au stade en mai dernier.

Un groupe de salariés en grève de l'entreprise Casino participe à une marche de protestation. Les participants célèbrent les 125 ans du groupe ainsi que son fondateur, Geoffroy Guichard. Crédit: AFP / OLIVIER CHASSIGNOLE

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« J'apprécie Casino, qui m'a offert beaucoup, raconte un individu qui a travaillé là-bas pendant 43 ans. Ce qui se déroule actuellement me fait souffrir ». À Saint-Étienne, tout le monde connaît quelqu'un qui est employé chez Casino ; tout le monde connaît un magasin du groupe à proximité de chez lui. « Ce qui renforce le lien entre Casino et Saint-Étienne, c'est la vision familiale de l'entreprise qu'avait Geoffroy Guichard, explique Olivier Londeix, historien spécialisé dans l'histoire du groupe. Il donnait la priorité à l'embauche de personnes ayant déjà un membre de leur famille travaillant chez Casino. Les employés organisaient des spectacles avec leurs collègues. Il y avait un idéal derrière tout cela. » L'esprit de famille perdure encore aujourd'hui. De nombreux panneaux lors des manifestations rendent hommage à Geoffroy Guichard, le "fondateur", en opposition à Jean-Charles Naouri, le "détrousseur", qui a repris le groupe en 1997.

La famille Guichard continue de lutter

Pour représenter la famille de Saint-Étienne, Xavier Kemlin, qui est l'arrière-petit-fils de Geoffroy Guichard, s'est rendu sur place avec son cousin Laurent Guichard. Celui qui se bat contre Jean-Charles Naouri depuis 1997 tient une pancarte disant : « Mon arrière-grand-père serait bouleversé ». Il a intenté une action collective contre le PDG actuel du groupe pour manipulation financière. Il explique : « L'objectif est de protéger ma famille. Plus de vingt membres se sont manifestés pour se porter partie civile ». Le descendant des Guichard a choisi comme avocate Sophie Vermeille, qui est l'ennemie jurée de la direction de Casino et qui avait défendu Muddy Waters, le premier fonds spéculatif à avoir souligné le risque de surendettement de Casino.

Les syndicats, quant à eux, dépendent davantage des politiciens pour les protéger. Ils ont eu une réunion avec le ministre de l'Économie Bruno Le Maire et échangent régulièrement avec le député de la Loire Quentin Bataillon. Le député de Renaissance, qui envoie régulièrement des messages sur le sujet à Bercy et Emmanuel Macron, exprime sa crainte d'une sensation de déclassement qui pourrait conduire n'importe quel chef d'entreprise à croire que Saint-Étienne est condamnée.

Dans la ville de Saint-Étienne, la mairie est actuellement sans direction. Quentin Bataillon doit prendre en charge une partie des responsabilités de la mairie, qui est accusée d'être impliquée dans un scandale de chantage à la sextape avec son ancien adjoint. Depuis plus d'un an, le maire Gaël Perdriau est silencieux et n'est plus en mesure de diriger. Le 17 décembre, l'édile fait une rare apparition publique pour protester contre la fermeture du siège qu'il juge inacceptable. Cependant, il s'éclipse rapidement lorsque les manifestants réclament sa démission. Le politologue Vincent Béal déplore que cette affaire renforce l'image d'une ville corrompue à Saint-Étienne.

La protestation prend fin devant l'hôtel de Ville, avec des chants de "Naouri, tu es en difficulté, Casino est dans la rue". Nathalie Devienne, la porte-parole de Force Ouvrière de l'intersyndicale, se tient devant les manifestants et prend la parole au micro. Elle déclare avec émotion : "En 1997, nous avons accordé notre confiance au prétendu petit prince de la finance, Jean-Charles Naouri. Vingt-six ans plus tard, nous sommes ici". Irène Breuil de la CCI garde espoir : "Grâce à leur résilience historique, les habitants de Saint-Étienne trouveront des moyens de rebondir". Le destin des magasins semble être scellé, mais celui du siège est encore incertain. La ville retient son souffle.

Le club de football de l'ASSE est également menacé de disparition.

Un autre bâtiment emblématique de Saint-Étienne pourrait bientôt changer de propriétaire : l'ASSE. En avril 2021, les deux coactionnaires, Roland Romeyer et Bernard Caïazzo, ont confié la vente de l'équipe au géant de l'audit KPMG. Cependant, la relégation du club en Ligue 2 l'année suivante a compliqué la situation. "Tous les bons joueurs, tels que Denis Bouanga et Wesley Fofana, ont été vendus", rappelle Bernard Lions, journaliste à L'Équipe et expert des Verts. Sans l'argent des transferts, les pertes atteindront 20 millions d'euros à la fin de la saison. Cela ressemble à la situation du groupe Casino, qui a vendu ses meilleures participations à l'étranger mais n'a pas réussi à sortir du rouge.

Cependant, à quelques jours de l'ouverture du marché des transferts hivernal, plusieurs potentiels acheteurs se positionnent pour débloquer la situation. Parmi eux, un groupe d'investisseurs franco-anglais, dirigé par Paulo Tavares, prévoit de mobiliser environ cent millions d'euros, dont un tiers pour l'achat du club et le reste pour renforcer l'équipe et créer une nouvelle dynamique. Il semblerait qu'une promesse d'achat ait même été signée, mais les deux vendeurs, qui sont peu bavards, continuent de retarder les choses. K.M.

Lieu de jeux et de divertissement, le casino est un endroit où les gens peuvent profiter de différentes activités de jeu.

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