Le sommet spatial de Séville : une victoire en demi-teinte et un repli national inédit pour l’Europe

Difficultés Société

Conférence spatiale : une victoire qui ne reflète pas la réalité

Par Vincent Lamigeon le 07.11.2023 à 17h00 Durée d'écoute : 9 minutes Abonnés

Lors de la réunion spatiale à Séville, les demandes de Paris, Berlin et Rome ont été satisfaites : la France a obtenu la garantie du financement d'Ariane 6, l'Allemagne a réussi à introduire la concurrence, et l'Italie a assuré l'indépendance du lanceur Vega-C. Cependant, cet accord montre également un manque évident d'ambition et une tendance au repli national.

Selon Bruno Le Maire, ministre de l'économie, le sommet spatial de Séville a marqué un tournant décisif dans l'histoire spatiale européenne. Cependant, certains se demandent s'il s'agit simplement d'un autre échec pour l'Europe spatiale qui est en difficulté. Ce sommet, qui a eu lieu les 6 et 7 novembre, a réuni les ministres responsables de l'espace des États membres de l'ESA (Agence spatiale européenne) et était considéré comme risqué, compte tenu de la situation actuelle où l'Europe ne dispose plus de lanceur opérationnel en raison de l'arrêt d'Ariane 5, des retards d'Ariane 6, des échecs de Vega-C et du retrait de Soyouz de Guyane. Heureusement, le pire a été évité et le sommet a abouti à deux accords : l'un entre les trois principaux contributeurs de l'ESA (France, Allemagne, Italie) et l'autre entre tous les membres de l'Agence, qui se sont mis d'accord sur une résolution commune.

Après plus d'un an de négociations et de nombreuses réunions techniques, un compromis a été trouvé entre Paris, Berlin et Rome. Ce compromis présente un grand avantage : il permet aux trois principaux contributeurs de l'Agence spatiale européenne (ESA) de quitter l'Espagne avec le sourire. La France a obtenu ce qu'elle voulait concernant la sécurisation de l'équilibre économique d'Ariane 6. Les États membres de l'ESA se sont mis d'accord sur une subvention annuelle plafonnée à 340 millions d'euros (dont 55 % financés par la France) pour financer l'exploitation du 16ème au 42ème vol du lanceur lourd. Les 15 premiers tirs étant déjà couverts par un accord précédent. Bruno Le Maire précise : "Ce compromis assure l'équilibre économique d'Ariane 6 pour toute la décennie, en échange d'une réduction des coûts de 11 % par les industriels".

La sécurisation de 42 lancements d'Ariane 6 est un accord qui remet en question les promesses faites par les industriels et les agences spatiales en 2014, lors du lancement du programme. À l'époque, il était assuré que Ariane 6 n'aurait plus besoin d'une subvention annuelle de l'ESA pour maintenir son équilibre économique. Cependant, en raison des retards, des dépassements de coûts, de la crise de la Covid et de l'augmentation rapide de l'inflation, ces engagements ont été abandonnés. Malgré cela, le compromis conclu prévoit l'achat de 4 vols par an à Ariane 6 jusqu'en 2030, ce qui offre une réelle visibilité pour le lanceur européen. Stéphane Israël, le PDG d'Arianespace, se réjouit de cette décision, affirmant qu'elle permettra de commander 27 lanceurs supplémentaires en plus des 15 déjà prévus, ce qui témoigne de la confiance des États membres envers Ariane 6.

L'Allemagne est également satisfaite de sa visite à Séville. Elle a obtenu ce qu'elle voulait en matière de concurrence, en particulier dans le secteur des petits lanceurs. Désormais, le choix des lanceurs se fera par le biais d'une compétition entre entreprises, similaire à ce que fait la NASA aux États-Unis, et non plus par le biais de développements de fusées en situation de monopole, financés par l'ESA. Les ministres ont approuvé le lancement du "Défi européen des lanceurs", une compétition où les gagnants recevront 150 millions d'euros.

Lors du sommet, il a été décidé de lancer une compétition pour développer des capsules de fret destinées à la Station spatiale internationale (ISS). L'objectif est de pouvoir desservir l'ISS avec un vaisseau européen à partir de 2028, qui pourrait également être utilisé pour des missions plus éloignées ou adapté pour des vols habités. Le directeur général de l'ESA, Josef Aschbacher, considère que nous sommes en train de vivre un changement de paradigme dans le domaine du transport spatial.

Le lanceur léger Vega-C, dont l'Italie rêvait depuis longtemps, a finalement obtenu son indépendance de la société Arianespace. Ce lanceur, développé par le groupe italien Avio, était auparavant commercialisé par Arianespace, tout comme Ariane 6, qui utilise les mêmes propulseurs à poudre (P120). Suite à un compromis signé lors du sommet spatial, Avio prendra désormais en charge la commercialisation de son propre lanceur, marquant ainsi un véritable "Vexit" pour Arianespace.

Est-ce que tout le monde sort gagnant de Séville ? On peut en douter. Certes, l'accord trouvé assure l'essentiel en montrant une front uni et en garantissant une stabilité économique pour Ariane 6 et Vega-C jusqu'à la fin de la décennie. Cependant, le compromis ne parvient pas à dissimuler un repli national sans précédent qui menace l'unité européenne. Tout d'abord, il y a le repli italien : malgré les nombreux échecs de Vega-C, qui ne sera relancé qu'à la fin de 2024, Rome a poussé pour un "Vexit", c'est-à-dire le retrait du lanceur italien Vega-C d'Arianespace. Cette décision affaiblit clairement Arianespace, qui ne pourra plus commercialiser que Ariane 6.

Ensuite, l'Allemagne se retire. La volonté de Berlin de favoriser la compétition n'est pas entièrement désintéressée : à court terme, elle vise à soutenir ses start-ups, telles que Isar Aerospace, RFA ou Hyimpulse, pour qu'elles décollent. À plus long terme, l'Allemagne cherche clairement à remettre en question la domination française dans le domaine des lanceurs lourds, en espérant prendre le contrôle d'un successeur d'Ariane 6, même si elle ne le dit jamais clairement.

Est-ce que MaiaSpace va s'attaquer à Vega ?

Enfin, la France se retire. Le projet de minilanceur réutilisable Maia, lancé fin 2021 par Bruno le Maire et développé par la filiale d'ArianeGroup MaiaSpace, vise à contrer la montée en puissance de l'Allemagne dans le domaine des mini et microlanceurs. Il constitue également un concurrent potentiel pour Avio, une société italienne spécialisée dans les lanceurs Vega. Bien que sa capacité annoncée en orbite héliosynchrone soit de 1 500 kg (dans sa version non réutilisable), contre 2 300 kg pour Vega-C, ce chiffre concerne une version de Maia qui n'est pas encore totalement optimisée. Le constructeur français pourra augmenter la charge utile de plusieurs centaines de kilos au fur et à mesure des améliorations de son lanceur, à l'instar de ce qu'a fait SpaceX avec le Falcon 9 au fil des années.

Bruno le Maire affirme ouvertement que la compétition sera intense et que la France ne sera pas généreuse. Il est convaincu que la France peut et va remporter cette nouvelle forme de compétition, en mettant en avant les 1,5 milliard d'euros alloués à l'industrie spatiale dans le plan France 2030, ainsi que la croissance des start-up françaises spécialisées dans les mini et microlanceurs (MaiaSpace, Latitude, Dark, Opus Aerospace, Sirius et HyPrSpace).

En plus des replis nationaux, l'accord de Séville signifie également un véritable abandon : il n'y aura pas de programme de vol habité européen à court terme, comme cela avait été prévu par Emmanuel Macron en début d'année 2022 et fortement encouragé par le rapport d'un groupe de Sages en mars dernier. Bien sûr, le vaisseau de fret européen prévu pour 2028 pourrait éventuellement être transformé en une capsule habitée. Cependant, cette échéance repousse au mieux le début des années 2030 l'entrée en service d'un vaisseau habité européen, après la retraite de l'ISS prévue en 2030.

L'Europe, en tant que puissance spatiale de second rang, n'a pas réussi à accélérer son programme de vols habités, malgré les souhaits d'Emmanuel Macron, du directeur général de l'ESA Josef Aschbacher et du directeur du CNES Philippe Baptiste. Elle fait face à une concurrence plus résolue et plus rapide, notamment des États-Unis, de la Chine et de l'Inde. La preuve en est que les deux prochains lancements de satellites Galileo, le système de positionnement européen, seront effectués sur le Falcon 9, pour un coût total de 180 millions d'euros.

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Titre alternatif: L'inquiétant quasi-monopole de SpaceX

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